De la photographie comme art de thanatopraxie, par Stephan Vanfleteren

©Stephan Vanfleteren

« Chez Vanfleteren la nature est changeante, déformée par le temps et l’âge. L’homme et l’animal s’y rencontrent en un destin commun, jusqu’à se fondre l’un dans l’autre, comme dans cette représentation iconique d’un homme vu de dos portant des cornes de bouc, ou dans les fréquentes associations anatomiques entre pelage, peau humaine, poils, dans les surfaces lisses ou ridées et la troublante transparence des regards. Les yeux des animaux semblent humains. La beauté animale semble précéder la beauté humaine. Il n’y a plus de différence entre la vie et la mort. » (Ilja Leonard Pfeijffer)

Si la photographie était l’une des branches de la peinture – je vais faire hurler -, elle s’appellerait en Belgique, et plus précisément en Flandre, Stephan Vanfleteren.

©Stephan Vanfleteren

Est présenté actuellement à Bruxelles, au Hangar Photo Art Center, un très bel ensemble de ses photographies d’atelier – douze dernières années -, celui-ci étant situé, contre toute attente, au sud, soit sous une lumière changeante obligeant l’artiste à prendre en compte sa variabilité au cours de la journée.

L’impression générale est celle d’un vaste memento mori, et d’une connaissance intime de l’histoire de l’art.

Un agneau écorché, c’est Zurbaran ; un cheval mort présenté sous la forme d’un triptyque géant c’est Delacroix, Picasso et Bacon.

Il y a ici un sentiment de théâtralité magnifiant les présences, vivantes ou mortes – un soin particulier est apporté au socle où reposent les corps.

©Stephan Vanfleteren

Ce sont des portraits d’anonymes, ou de stars (Warren Ellis, Arno, Stromae, Mads Mikkelsen, Panamarenko), des marins, des fermiers, des majorettes, de simples quidams, et des célébrités du monde artistique.

Le photographe né en 1969 ne hiérarchise pas : l’intéressent la nature humaine dans son humble condition, et la vérité des traits.

Les natures mortes sont superbes parce qu’elles sont des acmés de vie.

La dimension de thanatopraxie de sa pratique touche au vif, que Stephan Vanfleteren photographie une femme enceinte, un bébé urinant de peur, un renard mort, un martinet ou une bouteille échouée sur sa table de vision comme un signe divin.  

La lumière, naturelle ou artificielle, est en soi un personnage, mystérieux, inquiétant, d’essence supérieure, transcendante.

Possédant un savoir-faire profond, notamment concernant les techniques anciennes de représentation, l’art de Stephan Vanfleteren se rapproche du pictorialisme, les corps d’aujourd’hui s’unissant à ceux d’hier en une même famille humaine rassemblée par-delà les siècles.

©Stephan Vanfleteren

Des corps chutent et périssent, que sauve de la corruption le photographe par la majesté de son regard.  

Un moineau posant sur l’arête d’une scène – un voile, un drap, un modeste tissu – comme un acteur ayant retiré son masque justifie tous nos pleurs, et toute notre joie.

Les mains sont vieilles, ridées, hors d’âge, les visages sont fatigués, mais il y a de la persistance dans l’être, des nudités fabuleuses, des éléments de légende (ailes d’ange, crocs de renard, femme enceinte écartant les cuisses comme une poupée de chair).

L’atelier de Stephan Vanfleteren – voir l’imposant livre publié par Hannibal Books – est bien plus qu’un lieu de travail, c’est un espace de révélation, jamais très loin de la transfiguration.

©Stephan Vanfleteren

Vous qui entrez ici, ne perdez surtout pas toute espérance, vous êtes sauvés.

Vous êtes une taupe, un pirate, une Jeanne d’Arc en pleurs comme chez Dreyer.

Et c’est parce qu’il y a tant de gris que les couleurs, souvent froides, sont de paradis.

Stephan Vanfleteren, Atelier, texte Ilja Leonard Pfeijffer, design Johan Jacobs & Stephan Vanfleteren, publisher Gautier Platteau, project management Hadewych Van der Bossche, Hannibal Books, 2023, 450 pages

Autoportrait ©Stephan Vanfleteren

Exposition éponyme au Hangar Photo Art Center (Bruxelles), du 13 septembre au 21 décembre 2024

https://www.hangar.art/stephan-vanfleteren

©Stephan Vanfleteren

https://www.hangar.art/atelier

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