
Annette Zelman avec ses frères et soeurs (Paramé, 1937) – collection privée de Michèle Kersz Zelman
C’est un livre effroyable que j’aurais préféré ne pas connaître, il est pourtant essentiel, il faut le méditer.
Composé d’archives et de quelques images contemporaines évoquant notamment les lieux du drame, La disparition, de Jacques Sierpinski, rend hommage à Annette Zelman, cousine germaine du père de l’auteur né en Pologne, artiste prometteuse déportée à vingt ans à Auschwitz depuis Drancy, le 22 juin 1942, par le premier convoi comportant des femmes.
« 78 convois partirent de France, emportant vers la mort 73 853 hommes, femmes et enfants dont 2 190 seulement auraient survécu. »

©Jacques Sierpinski
La jeune diplômée des Beaux-Arts voulait se marier avec Jean Jausion, poète néo-dadaïste, et fils d’un médecin de renom ayant dénoncé « la juive Annette » à la Gestapo afin de mettre un terme à un projet qu’il jugeait insupportable, ce que la famille Zelman ne découvrit qu’en 1961 en lisant le l’ouvrage d’Henri Amouroux, La vie des Français sous l’Occupation.
Le SS-Hauptsturmführer Theodor Dannecker, responsable de la traque des Juifs de France, bras droit dans l’Hexagone d’Adolf Eichmann, soupçonnant, ou feignant de soupçonner, un mariage d’arrangement entre « une juive » et un aryen, s’occupa personnellement du problème : la pauvre femme fut envoyée à la mort.
Publié par les éditions de Juillet avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah – Annette apparaît en médaillon sur la couverture à rabat cartonnée brune -, La disparation est d’autant plus poignant qu’il comporte des lettres d’amour, écrite de ses lieux d’internement, d’Annette à Jean, mais aussi des dessins de l’artiste.

©Jacques Sierpinski
L’impossible est ici dit sans ambages, mais la pudeur envers la défunte – que dire ? que montrer ? que dévoiler ? – est constamment perceptible.
Dans un texte précis, placé en postface, Laurent Joly fait le point sur le phénomène de la délation des juifs sous le régime de Vichy, accéléré à partir de la mise en œuvre de la « solution finale » : l’ignominie n’est pas une loi, mais ce n’est pas une rareté.
Œuvre de mémoire, La disparition – comment ne pas penser à Georges Perec ? – est aussi un acte de vigilance.
« La part d’ombre de l’individu, rappelle Jacques Sierpinski, n’est jamais très loin, prête à se manifester dès que les conditions sont propices. Il est important de se le rappeler, afin que toutes et tous nous marquions notre opposition à tous les racismes et discriminations, envers quiconque, partout, toujours. »

©Jacques Sierpinski
Annette écrivit en juin 1942 à son bel amant : « Chéri, je voudrais savoir ce qui se passe avec ces histoires d’étoiles. Au quartier, il y a eu des manifestations d’étudiantes. Il y a eu des étudiantes arrêtées ici. Aryennes ayant porté les étoiles ou ayant parodié J.-C. J’ai près de moi une petite qui a été honteusement battue par les Allemands en pleins Champs-Elysées, devant tout le monde, pour avoir porté une petite feuille jaune avec « chrétienne ». Elle est couverte de bleus, ils l’ont tirée par les cheveux sur le trottoir jusqu’à la voiture allemande. D’après ses dires, il y avait au moins 200 personnes qui regardaient et personne n’a bougé. »
Admirable, la nature humaine est souvent dégueulasse.

Jacques Sierpinski, La disparition, Annette Zelman, été 1942, texte de Laurent Joly, conception éditoriale Richard Volante, conception graphique et mise en page Yves Bigot, photogravure Pascal Jollivet, Les Editions de Juillet / Fondation pour la Mémoire de la Shoah, 2024, 142 pages

©Jacques Sierpinski
https://www.editionsdejuillet.com/products/la-disparition

Merci pour ce beau texte, je vais le partager depuis votre facebook (je connaissais son histoire, je ne sais plus comment) Bonne journée, Eve
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