
©Barbara B. Crane Trust
« Quand on considère l’ensemble de l’œuvre de Barbara Crane, écrit sa galeriste parisienne Françoise Paviot, on est vite étonné, et parfois perplexe, devant sa facilité à changer de technique et de rendu, comme si chaque nouveau travail nécessitait systématiquement un nouvel outil, une nouvelle approche. On aura compris que Barbara n’est jamais en repos, physiquement, professionnellement, mais aussi mentalement. En s’appuyant sur des procédés toujours renouvelés, des mosaïques, des assemblages, des variations, elle a exploré, de façon presque insatiable, les propriétés formelles d’un même sujet, en jouant sur la lumière et en développant des séries d’expérimentation visuelles. »
Dans l’espace photographique – gratuit – du sous-sol du Centre Pompidou (Paris) a lieu actuellement la première exposition monographique consacrée en Europe à la photographe américaine Barbara Crane, artiste ayant reçu une éducation d’excellence à l’Institut of Design de Chicago.

©Barbara B. Crane Trust
On y voit une artiste constamment au travail, à la recherche de formes et sujets nouveaux, entre straight photography et approche expérimentale du médium, notamment par la variété des procédés et techniques utilisés (Polaroïds, photomontage, collage, photographie numérique, surimpressions, tirages au platine-palladium, mural, diagrammes visuels…).
Centrée sur les vingt-cinq premières années de la carrière d’une artiste encore très méconnue, l’exposition montre le souci de la photographe influencée par la musique de John Cage et de Philip Glass, comme par les audaces chorégraphiques Merce Cunningham, d’opérer par séries.
Quatorze sont ici présentées, entre Humans Forms (1964-1968), ensemble de lignes corporelles étonnantes (graphisme de nus abstraits), Beaches and Parks (1972-1978), projet d’importance sur les plages et les parcs de Chicago (dimension collective des corps cadrés de façon surprenante, souvent à hauteur du bassin), et les effacements de Wipe Outs (1986) où les visages photographiés à bout portant, apparaissant sur fond d’obscurité, produisent des monstruosités visuelles.
L’artiste accumule, multiplie, varie ses approches.
Il y a chez elle du lyrisme sec, et une reprise inventive des expérimentations des avant-gardes européennes.

©Barbara B. Crane Trust
Dans le texte accompagnant le catalogue, publié chez Atelier EXB, la curatrice Julie Jones repère « une logique interne d’arborescence. »
On peut ainsi s’enchanter de la façon qu’a Barbara Crane de s’installer au cœur de la foule comme dans son laboratoire, d’évoquer avec subtilité la condition de la femme tout en s’attachant au vertige des structures envahissant la grande ville moderne (Loop Series, 1976-1978), aux néons et à l’énigme identitaire.
Elle va dans la rue pour ne pas risquer l’enfermement terminal dans l’atelier ; elle va dans l’atelier pour ne pas trop se perdre dans la rue.
Il y a chez elle des pointes d’humour féroce, une réflexion sur l’esseulement contemporain, une forme de tendresse à la Matisse, et un intérêt constant pour la façon dont les corps se meuvent.

©Barbara B. Crane Trust
Etudiant de l’enseignante Barbara Crane à la fameuse School of Art Insitute of Chicago (SAIC), l’écrivain et photographe Philippe De Jonkheere, devenu son ami, raconte : « Barbara possédait une très belle maison en bois, dans le Michigan, au milieu d’une forêt, toute proche elle-même du rivage de l’immense lac. Sa maison était entièrement cernée d’une terrasse, elle aussi en bois, qui permettait à Barbara de photographier la forêt alentour depuis sa rambarde, notamment la nuit à l’aide d’une ribambelle de mandarines qu’elle avait fait installer nichées sous les chéneaux du toit. Un interrupteur commandait cet ensemble qui faisait soudain apparaître les arbres entourant la maison et se détachant sur un fond noir, là où l’éclairage ne portait rapidement plus. »
Il est certain que la libre Barbara n’a pas fini de nous étonner.

Monographie Barbara Crane, textes Julie Jones, Françoise Paviot, Philippe De Jonckheere, entretien de Barbare Crane avec Agathe Cancellieri, direction d’ouvrage Julie Jones assistée de Paul Bernard-Jabel, édition Nathalie Chapuis assistée de Camille Cibot, conception graphique Jérôme Saint-Loubert Bié, fabrication François Santerre et Charlotte Debiolles, Atelier EXB, 2024, 224 pages
https://www.barbaracranephotography.net/
https://exb.fr/fr/home/645-barbara-crane.html

©Barbara B. Crane Trust
Exposition au Centre Pompidou (Paris), du 11 septembre 2024 au 6 janvier 2025 – commissariat Julie Jones
https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/JsKzhhJ
