Une mère dans la forêt flottante des souvenirs, par Martin Magntorn, photographe

©Martin Magntorn

Pour partie issues des albums de sa famille, les images de Mother Without Shadow, de Martin Magntorn,tentent d’approcher visuellement, mais aussi par le biais de courts textes issus d’entretiens, le mystère d’une mère prénommée Elisabeth.

Une mère née dans la seconde moitié du XXe siècle en Suède, dont sont retracées les différentes phases de la vie.

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Nos souvenirs sont-ils communs ?

Toi, maman, quels sont selon toi les meilleurs moments de mon enfance ? Et les pires ?

Et moi, ai-je vécu tant d’années pour me rappeler si peu mon passé ?

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Se présentant sous belle couverture orangée, montrant, en creux ou relief inversé, le fantôme d’un enfant tenu par sa mère, Mother Without Shadow collige à la fois des images vernaculaires et des photographies de mise en scène de l’orde de l’installation plastique métaphorique.

Rien n’est figé, il faut inventer, le passé est mouvant.

Il faut désenfouir, déblayer, laisser de la place pour que quelque chose advienne, remonte, réapparaisse.

« J’ai toujours pensé qu’il y avait une certaine légèreté chez toi, maman, un état mystérieux qui défie la gravité. Tu es entourée d’une forêt flottante de souvenirs, de gens, d’objets, de temps. »

Après Daddy Cool (Breadfield Press, 2020), Martin Magntorn célèbre la seconde moitié de son duo parental, dont il montre le visage et le corps à différents âges, et qu’il réinvente par le truchement d’installations, généralement aériennes.

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Au cœur de Mother Without Shadow, il y a le sentiment d’abandon ressenti par la mère, transmise au fils, beaucoup de pudeur, et un immense désir de compréhension.

On ferme les yeux, on ouvre les vieux albums, qui sentent encore l’odeur de la cigarette, on imagine.

La mère de la mère, convertie au catholicisme, allait souvent en Inde, semblait mener une vie passionnante, mais son absence était difficile à supporter.

Des conversations entre mother et son sont reproduites, le fils comprend mieux qui était sa mère, ses souffrances, ses difficultés, ses déceptions, ses joies.

Des spectres encombrent la pièce, il faut leur donner la chance de disparaître pour toujours.

Grand-mère voulait être une femme libre, refusant de se cantonner au rôle de femme au foyer, grand-père était un homme décrit comme intellectuellement brillant.

La mère, se souvenant de son enfance : « Il y avait beaucoup de gens inhabituels qui visitaient notre maison. Je me souviens d’un vagabond qui passait chaque Noël en traversant la Suède. Il portait un manteau usé, la doublure pleine de livres. Il lisait à haute voix et empruntait toujours de l’argent. Mon père se retrouvait souvent sans le sou à la fin du mois. Le pétrole manquait et la maison était froide, mes parents tremblaient sous les couvertures. Le téléphone était débranché. »

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Grand-père était archéologue – mort peu de temps après, peut-être victime d’une malédiction, l’ouverture d’une sépulture sacrée qu’il avait contribué à révéler -, son petit-fils l’est aussi à sa façon, qui fouille les archives familiales pour en extraire des fragments de mémoire à interroger.

Filaments, liens, tissages, linéaments, sculptures précaires : telles sont les inventions contemporaines de l’auteur alternant avec la reprise régulière de ses conversations avec sa mère et les images du passé.

Creuser, déterrer, utiliser la pelle psychique.

Qu’est devenu, maman, le chien que tu aimais tant ?

©Martin Magntorn

Et ce Polonais qui te courtisait ?

Quelle relation entretiens-tu avec ta maison ?

Comment as-tu vécu la mort de papa ?

La vie te paraît-elle étrange ?

Mother Without Shadow fait, sans pathos, avec beaucoup de délicatesse, le portrait d’une mère aimée, souvent lumineuse, affrontant courageusement son destin.