Une mère disparaît, par Jennifer Baron, photographe

©Jennifer Baron

Se présentant sous l’écrin d’un sac de toile jute signée se fermant par une cordelette, l’ouvrage que la Néerlandaise Jennifer Baron consacre à sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer, est tout simplement remarquable.

Livre autoédité, Echoes of the Unseen est le portrait d’une femme égarée accompagnée, regardée, délicatement aimée, une journée entière.

Que reste-t-il de l’autre quand son identité se dilue ?

Une pure humanité, un mystère, un flux de vie sans véritable bord.

Avec beaucoup de pudeur, Jennifer Baron observe sa mère, dans toute sa dignité et sa beauté.

Les images en noir & blanc, proches quelquefois de la peinture abstraite, approchent une énigme.

Le visage de qui a mis au monde la femme qui désormais le regarde intensément est une allégorie du temps, mais aussi de la noblesse de toute vie.

Il y a quelques traînées de condensation dans le ciel, mais il s’agit en fait de la traîne de mariée d’une mère en partance pour quelque contrée inconnue.

©Jennifer Baron

La peau a flétri, elle est pourtant superbe, c’est celle de toutes les femmes ayant vécu très tard, très loin.

Quelles différences bientôt entre l’écorce des arbres regroupés en sentinelles (page de droite), et ce dos vertical (page de gauche) que caresse une lumière d’aube ou de crépuscule ?

Mains assemblées, envol d’oiseaux, ramures en épousailles.

La solitude est patente, mais ce n’est pas un esseulement : c’est une confrontation avec plus grand que soi, même pas un combat, simplement l’accueil assez stupéfait du Très-Haut, ou Très-Bas, ou du Rien.

Puissance d’engloutissement.

Une couture rouge apparaît au mitan de l’ouvrage, c’est une cicatrice, la présence d’un sang toujours vif malgré les années.

Il y a quelque chose en Echoes of the Unseen d’une théologie de la lumière, qui ouvre le cœur.

Le visage se floute maintenant, c’est bientôt un protozoaire, le retour au magma primordial.

Millions de spermatozoïdes, champignons, nuit absolue.

©Jennifer Baron

Un polaroïd de petit format – pièce unique – clos le livre, une femme a vécu, vit, vivra encore un peu.

Ayant donné à chaque exemplaire de son œuvre de ténèbres et de grâce une touche unique par le choix d’une couverture peinte à la main, dont la matière est celle d’une toile brute découpée en cinquante copies, Jennifer Baron pense lien, interrelation, solidarité.

Tout est très beau, très sensible, singulier et universel.     

Jennifer Baron, Echoes of the Unseen, graphic design/edit Jennifer Baron, printing Rob Stolk, autopublication, 2024 – 50 exemplaires numérotés et signés

https://www.jenniferbaron.nl/

https://www.jenniferbaron.nl/echoes-of-the-unseen/

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