Réinventer le legs, par Magali Lambert, artiste visuelle

©Magali Lambert

« Il faut choisir quels objets garder, quels objets laisser au brocanteur. Ici, rien que de la valeur sentimentale, peut-être historique. Je n’ai aucune idée de ce que j’en ferai mais je compte emporter un peu de ma grand-mère avec moi. » (Magali Lambert)

Il y a Betty (née en 1911 à Ager, décédée en 2017 à Avignon), mère de Florence (née en 1947 à Avignon), mère de Magali (née en 1982 à Paris), elle-même mère d’Ilda (née en 2019 aux Lilas).

Il y a quatre générations de femmes, de la mémoire partagée, des objets transmis.

Avec son nouveau livre, Un gant, un hachoir, une plume, publié par les éditions Hartpon sous couverture entoilée sérigraphiée de grande élégance, Magali Lambert présente, à la façon d’un musée d’anthropologie populaire, ou sauvage, un répertoire de plus de cent objets passés de mains en mains.

Mais ce sont plus que de simples choses, ce sont, dans le regard de l’artiste, des corps émouvants, des pièces de cabinet de curiosité, des fétiches, des assemblages apotropaïques.

©Magali Lambert

Entre surréalisme, geste d’art brut et esprit d’enfance, l’artiste française transforme le deuil en geste de vie et de fécondité.

On pense bien sûr à la célèbre formule de Lautréamont : Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie.

La petite-fille de Betty continue : « Trouve une icône de la Vierge, vestige de son catholicisme mêlé au protestantisme de son mari – sans oublier les mains de Fatma de son enfance. Trouve les petites figurines qu’elle confectionnait elle-même avec de la laine, porte-bonheur de la Première Guerre mondiale – On donnait des Nénette et Rintintin pour veiller sur les soldats. Je vais chercher l’œil bleu de la porte d’entrée, l’hippocampe desséché suspendu au lustre pour protéger la maison. »

Magali Lambert rassemble et compose, accueille et métamorphose.

Ses objets réinventés sont de l’ordre des allumettes, ou des grigris.

On les contemple avec enchantement, ce sont des rescapés dans une époque niant la valeur du temps, autre que le présent permanent, asphyxiant, totalitaire.

De quel passé accouchons-nous ? De quels êtres ?

Un tambourin peint où se lève une enfant à la Chardin.

Un carrosse d’or.

Un landau de porcelaine rempli de coquillages.

Des photos, des poupées, des monstruosités.

Les objets sont exposés sur fond uni, nous les voyons derrière la vitrine d’un rêve.

Créant des chimères, Magali Lambert s’empare des matières pour les déplacer, les réinterpréter, les libérer des pures contraintes fonctionnelles, révélant leur part de magie, leur énigme, mais aussi leur drôlerie.

©Magali Lambert

Un œil bleu collé sur des lunettes surmontées de sourcils.

Un maquereau sur la tête d’un chat.

Un os sur le crâne d’un moine.

Ailes d’ange et masque à gaz.

La Sainte Bible (traduction Louis Segond) dépenaillée et cette une du journal Le Petit Mareillais : « M. Himmler est nommé chef de l’armée intérieure. »

Des cartouches de fusil, mais aussi des gants, des mains, du rouge à lèvre, tout un attirail rappelant la coquetterie de la défunte, la photographe artmakeuse (lire Alain Jouffroy) jouant avec les codes traditionnels de la féminité pour les déranger, les inquiéter, les subvertir. 


©Magali Lambert

Un gant, un hachoir, une plume pourrait être une chanson d’Anne Sylvestre, mais c’est plutôt une entrée dans le laboratoire étrange et parfois inquiétant d’une artiste extériorisant en toute liberté son monde intérieur.

Un bout de pain grillé flotte dans une tasse de café, et vogue l’imaginaire débondé d’une femme réinventant son legs, ce qui signifie, dans la pensée de Jacques Derrida, savoir hériter.

Magali Lambert, Un gant, un hachoir, une plume, texte (français/anglais) Magali Lambert, Editions Hartpon, 2025, 160 pages

https://magalilambert.wordpress.com/

https://editions.hartpon.com/

©Magali Lambert

Magali Lambert est membre de l’agence VU’

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