Quelqu’un est là… Nous sommes deux, ou l’essence spirituelle du peuple russe, par Vladomir Soloviev

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La révélation, par les éditions Pierre Guillaume de Roux, de l’œuvre de l’auteur russe Vladimir Soloviev (1853-1900), philosophe, poète et traducteur (de Platon notamment), est un petit événement, pour qui souhaite entendre quelque chose à l’expression « racines chrétiennes de l’Europe ».

La quatrième de couverture relève de l’hagiographie : « Sa vie fut à la hauteur de ses idées. Ayant donné tous ses biens aux pauvres, fidèle à un amour unique dont il chercha l’épiphanie jusqu’au fond du désert d’Egypte, il n’eut souci que de l’essentiel : la vérité, la justice et la beauté. Son œuvre la plus sidérante est Court récit sur l’Antéchrist (1900). »

Paru une première fois en 1897, Lettres du dimanche est un ensemble de lettres philosophiques de quelques pages, au ton léger et profond, sur des sujets d’une grande diversité : « Christ est ressuscité ! », « La question de la femme », « Naître ou devenir aveugle », « La Russie dans cent ans »…

Cherchant à tenir un discours de vérité, et non de facile séduction, Soloviev aborde ici des thèmes qui l’auront préoccupé toute sa vie : la Résurrection, l’union des Eglises chrétiennes, l’âme des nations, les superstitions – « Le peuple est croyant, mais enténébré, et capable, dans ses ténèbres, d’accomplir des actes mauvais tout en les croyant bons. » –  l’idée nietzschéenne du surhomme, le mal.

Que sont les Russes au regard de Dieu ? Quelle est leur vocation ? L’unification du pays procède-t-elle davantage de la langue que des sentiments chrétiens ? « La Russie des débuts était une grande famille pluriethnique, rassemblée autour de Kiev et de Novgorod, et c’est sous la forme d’une famille analogue qu’elle se rassemblerait plus tard autour de Moscou, puis se définirait finalement comme l’Empire de toutes les Russies, tenant sous sa domination un septième du globe terrestre. »

Œuvrant pour « une famille chrétienne des peuples » – contre l’hérésie du matérialisme marxien – on comprend qu’une telle pensée trouve aujourd’hui en Russie un véritable écho, gauchie cependant par les cercles poutiniens et les nationalistes bêlants manquant sa générosité d’accueil quant à l’hétérogénéité des populations composant une vaste et puissance entité aussi bien politique que spirituelle.

Conçus comme des prêches ou mises en garde, ces Lettres du dimanche alertent leurs lecteurs sur les désirs mauvais d’une russification à outrance d’un Etat lançant par exemple l’assaut contre des langues régionales considérées comme ennemies de la patrie. Réalités des coups de bottes et des tentatives permanentes d’intimidations linguistiques.

Seront questionnés, entre autres sujets passionnants, les rapports avec l’Occident, le sens de l’Histoire, les liens entre la terre et le ciel (« l’incarnation du divin en l’humain »), l’incroyance, l’émancipation de la femme (« Les femmes se sont levées les premières à la rencontre du Christ ressuscité. ») et le patriotisme (« pensant et inquiet »).

Considérant nécessaire la défense par les armes de la chrétienté contre l’entrée en guerre du monde musulman, on lira ceci au présent, et avec trouble : « Au Moyen Âge, la lutte ouvertement armée des peuples européens contre les musulmans constitua la première tâche de la chrétienté, et un immense service rendu à l’humanité. »

Cet éloge de la croisade en temps de fanatisme religieux multipolaire revenu (lire avec attention les lettres XVIII à XX) ne manque pas d’inquiéter, nous autorisant à nous demander si le projet éditorial de la publication, aujourd’hui, des écrits de Vladimir Soloviev n’est pas aussi un projet politique.

Les idées saintes sont-elles compatibles avec la guerre sainte ?

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Vladimir Soloviev, Lettres du dimanche, préface de Bernard Marchadier, traduit du russe par Claire Vajou, éditions Pierre Guillaume de Roux, 2016, 174p

Vous pouvez aussi me lire en consultant le site de la revue numérique indépendante Le Poulailler

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