
Voici un livre à propos duquel la critique la plus autorisée ne tarit pas d’éloges, ce qui n’est que justice.
Prix AFD-Libération du meilleur reportage photo, Haïti est l’œuvre de Corentin Fohlen, journaliste ayant couvert pour la presse les conséquences du séisme du 12 janvier 2010 – près de 300 000 morts, plus d’un million de sans-abri.
Reparti deux ans plus tard pour y observer l’état d’avancement, ou non, des travaux de reconstruction, le reporter décide de photographier ce qui d’habitude n’attire que peu le regard des médias.

Loin de toute volonté de spectaculaire, ou de pathétisme, Corentin Fohlen préfère montrer l’énergie d’un peuple capable de prendre en main son destin, et de réinventer un quotidien des plus difficiles.
Les ONG sont présentes bien sûr – ou/et les églises protestantes -, mais c’est surtout leur incongruité, ou leur façon de se décaler des représentations dominantes qui leur sont attachées, qui frappe le spectateur, comme si ces extraterrestres n’étaient heureusement que de passage, tel un mal/bien nécessaire, avant que de laisser les habitants ou populations reprendre en main le cours de leur vie.

L’écart entre les classes sociales est criant, mais le regard de Corentin Fohlen n’est pas de dénonciation – « Haïti a plus besoin d’investisseurs que de donateurs » -, plutôt nourri d’une curiosité amusée envers les formes que les vivants, saisis dans leur plus grande quotidienneté, peuvent donner à leur existence.
La trivialité n’est pas un défaut, sauf quand elle devient vulgarité, mais là n’est pas le sujet direct du photographe, qui ne se drape jamais dans le costume du donneur de leçon, laissant à ceux qui découvriront ses images le soin de les explorer et commenter eux-mêmes.
Il est certes possible de se reporter en fin d’ouvrage aux légendes détaillant précisément les situations, mais là n’est pas l’essentiel, le projet étant moins pensé dans le déroulement de l’exhaustivité des contextes, que dans la poétique des relations possibles entre et dans les images.

Préfacé avec une heureuse pugnacité par le poète haïtien James Noël (« Réalises-tu que tu te trouves chez la première République Nègre »), Haïti montre en quelques chapitres montés avec une grande vivacité (« Reconstruire », « Tourisme humanitaire », « Religions », « Economie »…), un pays dont la richesse des ressources naturelles a pu construire celle des colons français amassant les dividendes du côté de Nantes, Bordeaux ou La Rochelle.
« Saint-Domingue [ancien nom d’Haïti] produisait, au milieu du XVIIIème siècle, autant de sucre que le Brésil, Cuba et la Jamaïque réunis en vue de l’enrichissement de sa métropole. » (Yanick Lahens, écrivaine haïtienne, prix Femina 2014 pour Bain de lune, édité par Sabine Wespieser)

Très attentif au vaudou, comme puissance spirituelle/rituelle structurant l’âme de l’île, Corentin Fohlen a pris soin de placer son ouvrage sous la protection d’un vévé (quatrième de couverture), symbole tracé à la poudre (craie, farine, cendre), marque représentant l’esprit convoqué.
Haïti n’est pas un pays maudit, mais une terre à partir de laquelle peut être déployé à l’échelle mondiale cette poétique de la Relation si chère au cœur du poète-philosophe antillais Edouard Glissant.

Un cheval s’avance entre deux blocs de béton, des humanitaires font des bulles pour tuer le temps, des bourgeois prennent un cocktail, des soldats de la Minustah patrouillent en lunettes de soleil noires, des petites filles apprennent le violon, une jeune déesse porte un sac volumineux sur la tête, des touristes font de la tyrolienne au-dessus de l’océan, des ouvriers masqués fabriquent des tablettes, un homme se convulsionne.
Vous ne savez pas où vous êtes ? C’est normal, vous êtes en train de découvrir Haïti.
Corentin Fohlen, Haïti, préface de James Noël, textes de Marie-Pierre Subtil et Jean-Marie Théodat, Light Motiv, 2017
Découvrir l’ensemble du travail de Corentin Fohlen
