
Ce n’est rien, c’est tout, un très petit livre, une grâce, quelques feuilles de rêve sur la pesée. Une douzaine d’images, des textes rassemblés en de courts paragraphes.
« ‘Il faut traverser l’eau’, nous renseigne un passant. »
En couverture (jaune), un œilleton où nage en noir et blanc une nymphe. Ondine de la Meuse.

Arrivée de nuit à l’Hôtel du Fort, pluie fine, livre éponyme. Joseph Charroy tient le boitier de mélancolie, Florence Cats l’écritoire.
« Il y a vingt-sept chambres à l’hôtel du Fort et m’a traversée l’idée de les essayer toutes. Le mobilier et le silence y seraient pareils, d’infimes détails dans la décoration seraient amenés à varier, mais la perspective du dehors, elle, serait toujours changeante et donnerait de fois en fois l’impression de voyager au sein de la même enseigne. »
C’est un voyage à deux, c’est un conte.
L’hôtelière : « Tous les matins une biche apparaît derrière l’hôtel, elle semble chercher quelque chose. Je n’ai jamais réussi à la photographier. L’avez-vous vue ? »

Dans la chambre, les amants s’enlacent. On entend des voix. On s’installe, à Huy, en Belgique.
Elle : « La chaleur est retombée. Il dort, abandonné. Son corps est nu, sans les draps, son visage aussi est nu. J’aime le contempler. Il y a des heures intimes où l’on a le sentiment de faire partie d’un secret. »
Mademoiselle se remaquille, elle est belle. Le miroir est rond, une piscine à bulles.
Les mots se demandent ce que les chambres ont vu, il y a tant de passage, et de nuits.
Hôtel du Fort est un livre d’attentions, de petits pas, de silences fins, de gestes doux et fermes.
« Je tire la vitre coulissante. Son appareil est posé sur la table, son regard sur le mur, ou à travers. On ne cherche pas à s’apprivoiser. Il frôle ma nuque, ma jupe, il tire le rideau et me tire jusqu’au lit. »

« C’est plus réel que la première fois. »
On referme la porte.
Hôtel du Fort est un charme, une buée, un fantasme.
Mais le photographe Joseph Charroy est aussi éditeur, responsable des éditions Primitive.

Sa première publication est un coup de maître, un livre brut, de grande solitude, de Mauricio Amarante.
Quand le musicien argentin Mauricio Amarante vivant en France retourne pour quelques semaines à Buenos Aires, l’idée lui vient d’emprunter l’appareil photo modeste de son neveu. C’est la première fois qu’il photographie, arpentant les quartiers Sud, miséreux, fiévreux, hautement populaires, de sa ville natale.

Superbement édité, Buenos Aires XXMIII est un livre d’instinct, une ballade photographique en noir et blanc dans une rue d’inquiétudes et de mystères.
Tension des regards, éclairages aveuglants, on se cherche, on se fuit, on fera peut-être l’amour.
Une voiture est en feu, il y a des règlements de compte, une sainteté ordinaire, des ordures.

Bats-toi contre le serpent, embrasse-moi, délivre-moi.
Il y a des fruits dans le caniveau, et c’est le meilleur des mondes.
Livre composé d’extraits des carnets de rêves de Rachel Sassi, Contre-lame est le deuxième volume, relié à la main, des éditions Primitive.

On y retrouve Florence Cats intervenant à l’encre, à la résine, aux pigments, sur de vieilles photographies trouvées dans la rue.
L’ensemble a la structure de l’inconscient, entre déplacements des images et condensation des visions.
« Mon bras droit cassé. / Coupé en deux. / L’humérus sectionné juste avant le coude. / // Une barre de métal apparente, / soudée dans l’os, / relie les deux parties de mon bras. »

Certains rient, d’autres pleurent, il faut traverser des forêts obscures, et entrer dans la matière même de l’onirisme.
Passent une chauve-souris, un garçon d’écurie, un infirmier, un garçon ivre, le carnaval logique des rêves.
Un hôpital, des grottes, des bois. La mort, la maladie, le soleil.
Et puis, il y a cette nuit du 20 décembre 2013, magnifique : « Je suis nue, étendue sur un lit. / Joël. / Il me regarde. / Touche mon ventre. / J’ai un bijou dans le clitoris, / un dans le nombril, / sur chaque flanc, juste en dessous des côtes, / deux bijoux métalliques acérés, / comme des étoiles de ninja. / Ce sont des étoiles filantes ou des comètes. / Il regarde mon ventre. / Dit que c’est harmonieux avec les bijoux. / On essaie de se souvenir / de qui a fait les trous, et quand. / Les étoiles filantes tiennent en équilibre. / Elles pourraient trancher ma peau. »

De livre en livre, Jospeh Charroy compose une vaste fresque intime, comme s’il était possible de photographier avec des rêves.
Joseph Charroy et Florence Cats, Hôtel du Fort, 2016, 46 pages
Mauricio Amarante, Buenos Aires XXMIII, éditions Primitive, 2016, 96 pages
Rachel Sassi et Florence Cats, Contre-lame, éditions Primitive, 2016, 96 pages
Nos a(r)mes, exposition Florence Cats et Joseph Charroy, peintures, dessins, photographies, mots, installation vidéo, Centre culturel et l’Athénée Royal Prince Baudouin de Marchin (Belgique), les 21, 22 octobre et le dimanche 12 novembre 2017