
On n’aborde pas le travail photographique d’Aurore Bagarry sans une véritable jubilation.
Parce que la beauté, lorsqu’elle n’est pas de conquête, apaise, et parce qu’elle est aussi une fraternité pour les âmes séparées.
Après un premier volume très remarqué, la jeune artiste publie aujourd’hui le second tome de son inventaire des glaciers du massif du Mont-Blanc dans une publication très soignée de son éditeur historique H’Artpon.

Depuis 2011, Aurore Bagarry photographie à la chambre les concrétions alpines, entre sensation de la volupté qu’offre la nature quand on la regarde vraiment, et sentiment d’effroi devant la menace de son effondrement.
L’acte esthétique se fait ainsi geste de veille face à la disparition progressive des surfaces glaciaires.

S’inscrivant dans une histoire de la représentation photographique de la montagne ayant commencé dès l’apparition de ce médium, Aurore Bagarry photographie à hauteur de catastrophe, considérant le temps en sa douloureuse métamorphose avec le calme qu’impose à la vitesse de propagation du malheur un regard souverain.
Si le sublime est ainsi le retournement de la terreur en célébration, la geste photographique de la regardeuse obstinée rejoint ce point où paraissent s’abolir les antinomies morales dans une juste concordance entre paysage extérieur et confins intimes.

Se confronter à la montagne est ainsi manière de défi jeté à soi-même, somme corporelle fragile et changeante.
On recherche une île, un refuge, un abri de hauteur, quand ici-bas tout paraît sale, insuffisant, et l’on trouve finalement un autre soi-même en des blocs d’êtres incompréhensibles et particulièrement mouvants sous des atours de fausse immuabilité.

La montagne fond, flotte, dérive, et c’est un vaste océan où nous nous diluons, comme le vieux Wang-Fô de Marguertite Yourcenar dans la mer de jade qu’il invente pour ne pas trépasser.
Soulignée par la romancière Amélie Lucas-Gary dans une Marine donnée en préface, la ligne de crête est aussi bien liquide que de pierre, et paradis des algues opalines.

Le granite s’oxyde, des parois s’effondrent, l’auge glaciaire perd de son épaisseur, les moraines morigènent, des crevasses se créent où s’abîment des fragments de légendes du glaciologue Luc Moreau passées au cut-up de notre désir.
Dans le cirque et son collier de reliques, la photographe installe son matériel, ne s’attend à rien, pas même au pire, enregistrant doucement le dépôt du monde en son boîtier de merveilles et de mélancolies.

Le sentiment de précarité existentielle est ici d’autant plus poignant que les géants eux-mêmes semblent soumis à loi d’une dégradation inéluctable, promettant des matins grandioses que nul ne verra jamais.
La photographie ne serait-elle après tout qu’une discipline thanatopraxique ?
Aurore Bagarry, Glaciers, légendes de Luc Moreau, textes de Daniel Girardin et Amélie Lucas-Gary, H’Artpon, 2017, volume 2

Exposition de 67 photographies d’Aurore Bagarry du 24 octobre au 2 décembre 2017 à la galerie SIT DOWN (Paris)

Se procurer le coffret Glaciers – édition limitée
