
“Une des dernières aristocrates.” © Marc Riboud/Magnum Photos
La valorisation des archives de l’agence Magnum est une activité à plein temps, et hautement légitime sur un plan historique en dehors des pures préoccupations financières.
Alors, quand arrive la perspective de Noël, qui se prépare des mois voire des années en avance, arrive aussi l’occasion d’un nouveau grand brassage monographique ou thématique, par exemple le livre Magnum Manifeste chez Actes Sud en 2017.
Denier en date des cadeaux Magnum, un gros volume consacré à la Chine construit comme un livre d’histoire en images, découpé en quatre périodes chronologiquement ordonnées : Le temps de la guerre (1938-1949), Les années Mao Zedong (1950-1972), Les années Den Xiaoping (1977-1992), L’ère de la superpuissance mondiale (de 1993 à nos jours).

Kunming, à l’ancien Palais d’été.
Pékin, 1964 © Rene Burri/Magnum Photos
Une carte de la Chine à déplier, un index, des listes de voyages par photographe (liste des villes), des dates commentées, des introductions précises d’un point de vue événementiel rédigées par Jonathan Fenby, nous voilà préparés pour accomplir un long voyage, en noir & blanc d’abord (Robert Capa et Henri Cartier-Bresson, Werner Bischof, Hiroshi Hamaya, Marc Riboud, René Burri) puis en couleur (Bruno Barbey, Eve Arnold), jusqu’à ce que le noir & blanc devienne une exception (Lu-Nan, Chien-Chi Chang).
L’histoire de la Chine peu avant et après la Seconde Guerre mondiale est tout entière marquée par des luttes idéologiques de grande ampleur faisant couler beaucoup de sang, d’argent, de larmes et d’espoirs.

Par la photographie de qualité relayée par les magazines, les Chinois retrouvent une singularité, un visage, un corps propre, que les stéréotypes occidentaux avaient pu leur dénier.
Y aurait-il une approche de la Chine spécifiquement Magnum ?
Colin Pantal, maître de conférences et photographe ayant codirigé avec Zheng Ziyu Magnum Chine (Actes Sud, 2018), s’en explique : « La manière dont les photographes de Magnum ont illustré la Chine et les thèmes clefs que chacun a représentés évoluent constamment. Mais il y a aussi une évolution dans l’approche, qui répond au mode de travail de ces photographes en Chine et aux lectorats qui leur étaient ouverts. Un Capa ou un Riboud opéraient dans le cadre de contrats permanents avec de grands magazines comme LIFE ou Look, d’où une pratique plus libre, ouverte sur une large panoplie de sujets selon les conditions sur place. Mais dans les années 1970, la photographie se destine à des clients d’un genre nouveau, comme avec le travail d’Eve Arnold pour le Sunday Times Magazine, où l’objet est plus circonscrit. Puis, à partir des années 1980, les commandes du National Geographic prennent une place accrue dans les portfolios, avec de vrais scénarios et des photographes qui savent exactement ce qu’ils vont faire avant même de poser le pied en Chine. De nos jours enfin, le travail peut être financé et exécuté de manières très diverses. Il existe encore de grosses commandes, comme The Shadow of a Prayer de Paolo Pellegrin pour Newsweek, mais on trouve aussi les portfolios d’un Martin Parr, qui travaille à la fois en indépendant et pour le compte d’instances culturelles ; son travail à Hong Kong avait sa place dans une galerie d’art avant même d’être réalisé. »

Visuellement, la Chine est devenue plurielle, plus complexe, plus exaltante encore.
Il faut se méfier des poncifs, des stéréotypes, mais en prendre le contre-pied systématique est un autre piège, chacun devant se demander quelle est sa part de dépendance aux représentations dominantes.
On peut ainsi regarder Magnum Chine comme une tectonique des plaques, en replaçant chaque image dans son contexte de production, en comparant les époques, les travaux, les styles, en cherchant d’abord les points de singularité et les visions particulières plutôt que de tenter de dresser une sorte de portrait global d’un pays ne se laissant pas enfermer par quelques clichés, aussi profonds, et polysémiques soient-ils.

“Chinois dévisageant un « long nez »,
comme on désigne en chinois tout
Occidental, dont le photographe.” © Patrick Zachmann/Magnum Photos
Des photographies justes, juste des photographies, mais faites par les plus grands.
Zheng Ziyu envisage l’époque maoïste comme un moment charnière, entre répression des imaginaires par la propagande, précédé d’une période où la Chine est d’abord vue comme pays d’exotisme sur fond de fraternité des conditions humaines, et libération propre à l’ère post-Mao qu’il appelle « photosaturation ».
Chacun s’attardera sur telle ou telle esthétique, tel ou tel regard, telle ou telle photographie, en privilégiant tel ou tel auteur ou tel ou tel événement historique, mais force est de constater la puissance et la richesse de cet album tenu pendant quatre-vingts ans.

Et comme souvent, puisque c’est l’humour qui sauve, je retiendrai à l’instant où j’écris cet article la malice des images de Guy Le Querrec, en Chine en 1984, travaillant des sujets classiques (taï-chi, Grande Muraille…) pour y découvrir des possibilités de rire ensemble de la farce qu’est souvent la vie, tragique ou drôle.

Magnum Chine, direction d’ouvrage et textes Colin Pantall et Zheng Ziyu, introductions Jonathan Fenby, traduction de l’anglais Daniel De Bruycker, Actes Sud, 2018, 376 pages

Hippodrome de Happy Valley © Martin Parr/Magnum Photos


comme : “Le bon général doit jouer un beau rôle dans l’histoire. Qu’il soit loué pour cent générations. Il doit se soucier de ses troupes comme de son peuple.” © Henri Cartier-Bresson/Magnum Photos