J’évoquais récemment dans L’Intervalle le grand œuvre de Denis Brihat, artiste ayant consacré sa vie à photographier des fleurs, des légumes, des végétaux, et à en restituer la présence par des tirages d’une grande subtilité.
Les éditions Hazan nous offrent aujoud’hui, par la grâce d’Amélie Balcou, après Les Saisons par les grands maîtres de l’estampe japonaise (2018), un coffret tout aussi somptueux, Les Fleurs par les grands maîtres de l’estampe japonaise.
Présenté sous forme de leporello (livre accordéon), cet ouvrage célèbre l’art ancestral du kachô-ga, « images de fleurs et d’oiseaux », de l’époque d’Hokusai (1760-1849) et Hiroshige (1797-1858) au début du XXe siècle.
Pour Edmond de Goncourt, Hokusai est « le peintre universel qui, avec le dessin le plus vivant, a reproduit l’homme, la femme, l’oiseau, le poisson, l’arbre, la fleur, le brin d’herbe (…) qui a fait entrer, en son œuvre, l’humanité entière de son pays. »
Sont présentés ici les moins connus Imao Keinen (1845-1924) et Ohara Koson (1877-1945), trouvant à leur tour dans la nature une source infinie d’inspiration et de beauté.
Il est certain que la politique isolationniste du Japon du début du XIXe siècle accentua chez les artistes nourris de shintoïsme et de bouddhisme le besoin d’aborder l’univers naturel comme l’espace du libre et du génie des formes.
A la dureté d’un régime politique glorifiant la nation, les maîtres de l’estampe offrirent, si ce n’est opposèrent, des fleurs, des feuilles, des couleurs, des oiseaux, de petits animaux, des poissons, toute la force et la suprême délicatesse du vivant inentamé.
Les fleurs s’ouvrent par milliers, voyagent de livre en livre, se multiplient encore.
Il n’est pas nécessaire de connaître le nom de l’exécuteur de chaque estampe, car ce qui passe ici page après page est le souffle unique d’un même esprit de vie.
Le leporello ouvre les ailes, créant le souffle.
C’est un espace de métamorphose. Le volatile devient pivoine, fleur de lotus ou branche d’acacia.
Les pigments traversent le temps, et donnent au visage des couleurs d’éternité.
Aucun remplissage ici, mais du vide, du silence, offrant à chaque entité la chance d’un plein déploiement.
Les saisons passent, pas la grâce.
La nature garde sa jeunesse, terriblement sensuelle.
Des traits de trois fois riens, des grues, des dialogues secrets entre plantes et paysages.
Il y a parfois, dans le paysage, quelques silhouettes humaines, fétus de paille bleue sous le mont Fuji.
On aperçoit dans le lointain une voile.
Ne rien précipiter, laisser ouvert sur le tablier de la bibliothèque telles ou telles séquences de pages, au hasard, dans la féérie de ce qui n’a pas de fin.
Couleurs et formes se savourent, et nous transmettent la puissance de leur délicatesse.
Les maîtres de l’estampe japonaise nous offrent sans nul doute les clefs du paradis.
Amélie Balcou, Les fleurs par les grands maîtres de l’estampe japonaise, Editions Hazan, 2019, 226 pages, 56 illustrations
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