Si l’on en croit la légende Mike Kleine est né en 1988 dans le Midwest américain.
Il compose de la musique électronique, crée des jeux vidéo et écrit des romans malins en considérant la pop culture comme l’horizon indépassable de notre temps.
La Ferme des Mastodontes est celle des célébrités habitant son premier roman passé en français par l’auteur de La ville fond (2017), par ailleurs directeur de la Maison de la Poésie de Rennes, Quentin Leclerc.
Voici un premier personnage, portant son pantalon Calvin Klein préféré, conduisant sa Ferrari, écoutant Philip Glass, mocassins Gucci aux pieds. L’iPhone vibre, c’est James Franco lui annonçant que ses masques africains viennent d’être abîmés.
La conversation est anodine, vaguement inquiète, elliptique, répétitive, passant d’un plan de réalité à l’autre, produisant des bulles comme dans une bande dessinée.
Tout est grave et rien n’a d’importance. Tout est important et rien n’est grave. Tout est sans importance, ni gravité, tout flotte.
Les conversations omniprésentes sont peuplées de vide, de phrases courtes, elles jouent leur rôle d’insignifiance.
Bien sûr, il y a parfois quelques crissements de pneus, des bris de verre ou de bois sur le sol, une vieille dame renversée, mais la folie l’emporte, ou l’ivresse, ou l’indifférence quand l’argent peut tout.
« Tu regardes dans le rétroviseur à travers le pare-brise arrière et tu te rends compte que c’est Will Smith dans une Honda Accord gris métallisé qui répète les mots barre et toi et connard encore et encore et encore, et qui klaxonne toujours plus fort. »
Ce pourrait être de l’Hemingway, mais le vieil éléphant n’est plus qu’une image dans l’ordre mortifère de l’anthropocène.
L’Europe a disparu, sa culture, son cœur battant entre l’Italie et la France, les Pays-Bas et l’Espagne, la Grande-Bretagne et le Portugal, l’Allemagne et la Grèce.
Ne reste plus qu’un long plan séquence filmé par David Fincher, et des noms démonétisés passant sur la surface d’un écran, Joan Didion, David Foster Wallace, Francis Scott Fitzgerald.
C’est chic et superficiel comme un séjour à Beverly Hills nimbé de musiques ayant la vertu du sucre.
A un match des Knicks, Jack Nicholson est assis à côté de toi. Il ne te dit même pas bonjour. Quel monde !
« Tu dis à Uma Thurman que tu penses aussi à ouvrir un nouveau compte chez American Express et que tu veux commander une carte Gold parce que tu en as marre de la Platinum, surtout de son look. »
Mike Kleine, c’est très bien pour l’apéritif, pour réapprendre l’usage du langage en picorant quelques fragments de dialogues après un AVC, maintenant, alors que la neige du Kilimandjaro a fini de fondre dans un verre de whisky-soda, passons à Don DeLillo.
Mike Kleine, La Ferme des Mastodontes, traduit de l’anglais par Quentin Leclerc, éditions de l’Ogre, 2019, 144 pages
La conquête de l’Amérique, c’est aussi une photographie de Bernard Plossu en couverture du livre d’Estelle Fenzy, Poèmes westerns, qui sont des voyages rêvés dans un film sans bord, ni fin.
« Zabriskie point. / D’ici, on voit la mort de loin. / Plissé nu de terre stérile. De douleurs longues. De fourmis argentées. / Un endroit où il n’y a plus rien à prouver. »
Estelle Fenzy compose en vers des Polaroïds, des sensations d’espaces, comme un peu de poussière levée le temps d’un talk, d’un song, d’un blues, d’une ballade, d’un voyage au tambour.
« Dyess, Arkansas. / De loin, elle n’a vraiment rien de spécial. De près non plus. / Une petite maison aux murs de planches. Deux fenêtres en façade. Volets mi-clos. Paupières lourdes. Maison fatiguée. / Ici, dans les années trente, ça n’avait vraiment rien de spécial de trimer dur. De l’aube au crépuscule, dans les champs de coton. Même enfant. Même à cinq ans. / Même quand, bien plus tard, on s’appellerait Johnny Cash. »
Estelle Fenzy, Poèmes westerns, éditions Lanskine, 2018, 64 pages
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