Nous ne sommes pas les derniers, par Sébastien Van Malleghem, photographe

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© Sébastien Van Malleghem
© Sébastien Van Malleghem

« Je regarde toujours en face ce qui me révolte et me terrifie. »

C’est un livre noir qu’il faut extirper d’une pochette tout aussi noire (enveloppe japonaise), fermée par une cordelette.

C’est un livre difficile, impossible, que les enfants ne doivent surtout pas voir, et peut-être pas tous les adultes.

© Sébastien Van Malleghem
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Mexican Morgues, de Sébastien Van Malleghem, est une plongée aux Enfers, un livre de cris et de chairs découpées, l’épouvante d’un pays confronté quotidiennement à la mort violente, à la cruauté des narcotrafiquants et des mafias de toutes sortes.

Les images en sont en noir & blanc, parce que la mort est de toute éternité, et que les cadavres ici exposés, disséqués, fouillés, analysés, préparés, sont aussi ceux de la peinture classique, ou d’une Shoah interminable.

© Sébastien Van Malleghem
© Sébastien Van Malleghem

« Les décès sont essentiellement causés par la pollution, les accidents de la route, et le crime. »

La matérialité des peaux en décomposition effraie, mais il s’agit pourtant de la vie la plus brute, la plus nue, la plus vraie.

Il faudrait regarder la mort comme une porte, un porche, un passage, quand elle nous est vendue comme uniquement écœurante, scandaleuse, dégoutante, et que tout notre être se cabre quand elle survient.

© Sébastien Van Malleghem
© Sébastien Van Malleghem

Dans la morgue principale de Mexico City – 450 morts par jour-, dont l’entrée ressemble à celle d’un garage, les embaumeurs « nettoient et préparent les corps rigides. Cette étape, continue Sébastien Van Malleghem, dure une quarantaine de minutes. Sur des tables en acier, les corps sont vidés de leurs excréments, nettoyés, puis remplis de différents produits chimiques afin que le visage et la peau retrouvent un aspect presque normal. On bouche les pores, on bloque les mâchoires… »

Dans d’autres morgues, les fours crématoires fonctionnent à plein régime, c’est la grande évacuation.

Mexican Morgues est un livre où l’asphyxie est immédiatement perceptible, un livre où l’on étouffe, parce que tout y est banal et extrême, avec peu de possibilité d’en sortir.

Des balais, des seaux, des tables en acier, le portrait d’un saint, des outils, le sol abîmé par le passage des caddies mortuaires, un poste de radio, une seringue, des boites de maquillage.

Le photographe s’approche peu à peu.

© Sébastien Van Malleghem
© Sébastien Van Malleghem

Des pieds pendent, ils sont sales, des os saillent. Ce sont eux, ce sont nous.

Ouverture du thorax.

Un être humain comme un bœuf écorché peint par Chardin.

Un bœuf écorché comme un être humain.

Les cadavres prennent des formes fantastiques, ce sont de pauvres pantins ridicules et affreux, sublimes pourtant.

Des cercueils les attendent, ou des fours.

Les flammes n’ont pas de morale.

Lassitude des travailleurs, exploités, pleurs des familles, business des bus en partance pour les nécropoles.

Des fossoyeurs, des musiciens.

La mort fait vivre, fait tourner la machine à cash, fait passer le temps.

On rentre maintenant le livre dans son fourreau, on remet la cordelle.

On détient un savoir secret transmis par un messager psychopompe.

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Sébastien Van Malleghem, Mexican Morgues, textes de Sébastien Van Malleghem, traduction Matilda Holloway, direction éditoriale et graphique Elisa Hébert, Photopaper, 2019

Site de Sébastien Van Malleghem

Photopaper

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