A la différence de la carte postale, destinée à tous les publics, la carte-photo, représentant des groupes sociaux homogènes, s’adresse davantage à des particuliers et à un cercle intime ou de reconnaissance immédiate.
Par centaines de milliers sont produites à l’aube du siècle des totalitarismes des photos de groupe, qu’elles soient le fait d’amateurs ou de professionnels, aussi sérieux dans leur tâche représentative qu’ouverts à l’humour et à la cocasserie, jusqu’à l’autoparodie – songeons, pour un empan chronologique récent, aux photos annuelles des membres de l’agence Magnum.
Le marché est abondant, il convient de satisfaire tout le monde.
Montrer la force de l’être ensemble et la cohésion des collectifs, tel est l’enjeu, où chacun finira bien par reconnaître les siens.
Les rois, les reines et leur descendance, largement représentés dans la peinture classique, sont devenus des gens du peuple à l’époque de la Troisième République.
Dans le volume 159 de la collection Photo Poche, Michel Christolhomme se consacre à la présentation de ce phénomène photographique florissant durant les premières décennies du XXe siècle.
« La carte photo, précise-t-il, est dérivée de la carte postale : même papier cartonné, même format rectangulaire, mêmes dimensions standards (9 x 14 cm environ). »
Des thèmes se dégagent, famille, école, armée, travail, table, sport, voyages, fêtes, parfois traités par les grands noms de la photographie, Felice Beato, Walker Evans, Seydou Keïta, August Sander, Irvin Penn, Oliviero Toscani.
Qui n’a pas connu l’épreuve du placement dans une photographie de mariage ou lors d’une photo de classe ? L’alternance garçon-fille, le jeu des tailles, les personnalités incontournables, et l’apprentissage d’une hiérarchisation parfois aussi formelle qu’idéologique.
« Les photographes ont inventé l’esthétique de l’accolement qui est un mode de placement : les personnes sont serrées les unes contre les autres dans des rangées échelonnées et plaquées entre elles. »
Très codifiée, la photographie de groupe est propice au burlesque, puisque le moindre déplacement, la moindre incongruité, viendra faire douter de la validité de tout l’édifice, ou le souligner comme effort de composition valant solidité des tempéraments assemblés, alors que la fragilité règne.
Relisant Bergson en s’amusant à le détourner, Michel Christolhomme écrit : « Ce que l’on trouve ainsi dans les photos de groupe, c’est le vivant qui se plaque sur du mécanique. Un vivant qui souvent nous émeut : ces soldats blessés alignés sur leurs lits en fer, ces visages ravagés de travailleurs, ce regard de vieillard baissé sur un poupon, ces signes extérieurs de camaraderie (une main sur une épaule par exemple). »
Dans de telles photographies, le moindre détail inattendu ou discordant devient particulièrement signifiant.
Apparaît ici une humanité attachante, héroïque dans sa volonté de faire corps, et pourtant drôle, tremblante, précaire, seule.
La mort est au travail, qui aura défiguré chacun, retrouvé le temps d’une pose collective en son sourire, son désir de tenir son rang, sa moustache et son chignon.
Un tel livre aurait pu être ennuyeux par son systématisme, il est avant tout beau et touchant, jusqu’à l’effroi s’emparant du spectateur devant la chute des corps.
Affinités, La photographie de groupe au temps des cartes-photos, textes et choix iconographique de Michel Christolhomme, Photo Poche n°159, 2019, 144 pages – 83 photographies
Collection Photo Poche chez Actes Sud
Se procurer Affinités. La photographie de groupe au temps des cartes-photos
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