
Vivant et travaillant à Bruxelles, Anne de Gelas est une photographe de l’intime, montrant et questionnant son corps au regard des événements le touchant, le modifiant, le heurtant : l’amour, la maternité, la perte, la maladie.
Composant ses ouvrages et ses expositions en mêlant aux images textes, citations et dessins, l’artiste invente dans son dernier opus autopublié INTERMèDE (un visage de lignes) une nouvelle constellation de photographies, de mots et de signes graphiques afin d’approcher sa féminité blessée.

Diptyque d’une poitrine nue très belle (image de gauche), photographiée avant une opération (image de droite, même cadrage), un sparadrap témoignant d’une intervention chirurgicale.
La mort menace là où le désir s’exprime.

Que sait-on, que comprend-on, que ressent-on de la douleur de l’autre et de sa solitude ?
Quel peut être le rôle du regard d’autrui dans la reconstruction, la reconnaissance, la réparation de soi ?
Comment ne pas oublier nos morts, nos proches, ceux qui ont étreint notre corps et l’ont parfois fécondé ?
Un oiseau mort, la Vierge de lumière : qui a raison ? qui est le plus concret des deux ?

Une douleur est apparue au sein droit.
Hôpital, étiquette, code barre, échographie, biopsie, diagnostic : Eve est de nouveau expulsée du jardin d’Eden. Telle est d’ailleurs la triade de la malédiction : expulsion, reconstruction, expulsion, jusqu’à l’évacuation finale.
Anne de Gelas, devenue attente, inquiétude, double d’elle-même, note et dessine ce qu’elle ressent, effectue des autoportraits au sein blessé, se souvient de son corps jeune, et des fleurs qu’il faisait naître dans le regard des hommes.

Un nourrisson tète le sein qui sera violenté, opéré, pas charcuté.
L’angoisse est là, mais, madame, vous êtes belle, en rien diminuée, et votre travail a du sens.

D’accord, mais qui appeler la nuit lorsque la gorge se serre jusqu’à l’étouffement ?
Quel sens donner, maman, a un cancer du sein ?
Chimio ou radiothérapie ?
L’absence de caresse détruit-elle plus vite que la maladie ?

Mon fils, ton dos est beau, il porte l’espoir de l’humanité.
Moi ? Elle ? « se métamorphoser – l’hormonothérapie a déclenché une ménopause accélérée – dès le premier mois, plus de règles – brutal – crampes, articulations douloureuses, bouffées de chaleur, brûlante, transpiration excessive lors de l’effort, sautes d’humeur, insomnies ou nuits entrecoupées chaud-froid, cheveux secs, peau sèche, masse musculaire en fonte libre, … un déplacement dans l’image de ma féminité – essayer de vivre au mieux ce passage… – accepter les changements du corps, l’inconfort – ‘vieillir’ – quelques choses d’inéluctable déclenché artificiellement – ménopause »

Un corps de femme, tout corps de femme, comme ne l’a pas écrit tout à fait ainsi Jean-Paul Sartre à la fin des Mots, et cent quarante exemplaires d’un livre d’artiste qui devrait être offert dans les services d’oncologie, parce que la vérité peut être un onguent.
Anne de Gelas, INTERMèDE (un visage de lignes), livre autopublié, 2019, cent quarante exemplaires numérotés
