
Fruit d’une résidence ayant eu lieu en octobre 2017 dans la ville portuaire chilienne, Valparaiso (si tu pleux) est une errance très calme, très intérieure, très méditative, du photographe SMITH.
Pas de tonitruance, pas de lumières intenses, mais un monde voilé, préservant ainsi sa pudeur, ses secrets, son mystère.
L’autre est autre, on peut s’en approcher, le contempler, fermer les yeux avec lui, ou elle, mais il reste entre chacun une cloison, un inconnaissable, un inappropriable.

Valparaiso est une ville-monde, riche des parcours multiples de ses immigrants, un territoire mosaïque, archipélique.
On est là, mais l’on se frôle, on partage des bouts d’histoire, on se prolonge dans l’ubiquité numérique, on est seuls ensemble, dans le brassage de la mer et du vent du large.
Valparaiso (si tu pleux) est une saudade photographique, une levée de corps dans la brume, une chorégraphie où le geste de l’un rentre en résonance avec celui de l’autre, sans que quiconque ne cherche à anticiper l’accord.

SMITH pense ses images jusqu’à l’effacement, privilégiant la persistance de la ténuité des signes et la dimension onirique plutôt que l’épate de l’exotisme et l’assurance des aplats de couleurs évidents.
Valparaiso accueille, protège et renvoie chacun à la responsabilité de ses actes.
Il y a là un groupe de jeunes haïtiens beaux comme des demi-dieux.
Passe le fantôme de Sergio Larrain, photographe ayant choisi la vie érémitique, dont le Valparaiso (1991) est ici perceptible, comme une transmission de pensée, un hommage à sa vérité de présence, sans tricherie, une électricité.

Le livre de SMITH parle créole, parle poussière, parle chien.
La violence sociale n’y est pas le sujet premier, mais elle n’est pas déniée.
Dans sa façon de rappeler par le traitement des images les primitifs de la photographie, l’artiste questionne essentiellement le miracle de la lumière, et la merveille du visible alors que progresse la catastrophe, le désert, la sécheresse des cœurs.

On bricole dans le précaire, on s’assied sur un trottoir, on est une plante assoiffée en attente d’être sauvée.
Et Lucien Raphmaj de chanter en dansant doucement : « Si tu pleux venir / Glisse-toi dans les plis du monde / Glisse-toi jusqu’à nous / Etranjé / Arrive »
SMITH, Valparaiso (si tu pleux), texte de Lucien Raphmaj, design Adam Love, André Frère Editions / FIFV Valparaiso, 2019, 76 pages – 100 exemplaires

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