
« Eh le maire… Nique sa mère au maire !!! »
C’est un très bel objet noir, comme un bout de météorite arraché au passé.
Reliure à la suisse, couverture ajourée pour y indiquer le titre fantôme, Ici La Haine.
Vingt-cinq ans après sa première exploitation en salle, le film de Mathieu Kassovitz La Haine reparaît doublement, en livre chez Maison CF – scénario intégral accompagné de 116 photographies en noir & blanc de Gilles Favier -, puis au cinéma à partir du 5 août.
On se souvient du sous-titre ironiquement cinglant, « Jusqu’ici tout va bien », laissant planer le spectre d’une insurrection majeure.

Un demi-siècle après sa sortie, la situation des quartiers prolétaires a-t-elle changé ? A-t-elle empiré ? S’est-elle améliorée ?
Il semblerait que les moins nantis, encore relativement patients, aient plus de sagesse que les possédants, dont la capacité de nuisance est sans commune mesure avec les feux de poubelles et de voitures ayant lieu çà et là sur les territoires français relégués.
Un insigne « police », les vitres d’un RER taguées, un slogan raciste : « Arabes et Noirs, la France en a assez de payer pour vous. »
Les images défilent d’un monde à l’abandon, sale, triste à mourir.

Une R25 break fait des dérapages sous le portrait géant de Charles Baudelaire ornant le pignon latéral d’une barre de HLM : la haine est encore un moteur, quand la mélancolie est une défaite.
Lecture du scénario : « En off, nous entendons les bruits d’une émeute, des cris, des vitres brisées, des explosions de gaz lacrymogènes. »
Un jeune blessé lors d’une garde à vue par un inspecteur du commissariat des Muguets, un quartier qui s’enflamme, des insultes, des coups.
Des projecteurs, une fiction, un réalisateur déterminé, peut-être même enragé.
Gilles Favier photographie des moments de tension, des visages inquiets, casquettes contre képis.

Beaucoup d’hommes ou d’adolescents.
On ne sait plus s’il s’agit d’un tournage ou d’un reportage loin des caméras.
Hubert face au policier : « On se tutoie maintenant ? On a gardé les cochons ensemble ? »
Saïd : « En tout cas, je l’ai niquée comme un sauvage et la meuf en redemandait. »
Vinz : « Tout ce que t’as niqué c’est le vent. »
Samir : « La prochaine fois que tu me fais passer pour un clown devant mes collègues, je les laisse transférer ton cul d’Arabe au commissariat central jusqu’à ce que ton frère vienne te chercher. »
Le tournage continue.
Toit d’immeuble, parpaings, déflecteurs, micros, viseur.
Tabassage en gros plan.
Course-poursuite, matraque.
Journaliste : « … nous venons d’apprendre de source officielle qu’un inspecteur a déclaré avoir perdu son arme de service dans le feu de l’action hier soir. Son arme n’a toujours pas été retrouvée… Nous avons interrogé les habitants de la cité de ce qu’ils pensent de la présence de cette arme en pleine situation de crise. »
Un couteau, du shit, un DJ.
Saïd : « Je suis pas un rappeur de merde… Je suis un rebeu de base. J’ai besoin de mes bouclettes. Les autres ils vont me jeter des pierres. On dirait un punk… Mon père il me jette par la fenêtre si je rentre comme ça. »
Lathifa : « Gagedé toi-même espèce de connard, pour qui tu te prends ? Tu t’es cru au bled ? On est pas chez les chèvres ici, on est à la cité des Muguets, alors ton petit jeu de macho musulman tu te la carres dans le cul et tu me parles autrement. »
Un barbecue, des merguez, du pain.
Police Nationale, s’il vous plaît.
Interpellation, clé dans le dos, colère des jeunes.
Civil 2 : « Si ç’avait été moi, votre copain, Abdel, c’est pas à l’hôpital qu’il serait, mais à la morgue. Allez hop, au four, toute la racaille. »
Vinz : « Vas-y roule un tarpé en loussdé. »
Un flingue pointé sur la tempe, sur le ventre, sur le spectateur.
Les photographies de Gilles Favier sont fortes, dérangeantes, parce qu’il se pourrait bien qu’elles ne soient pas tirées d’un film, mais de son hors-champ.
De quand date la dernière bavure policière ?
Jusqu’ici tout va bien, 25 ans après le film La Haine, photographies de Gilles Favier, scénario intégral du film La Haine, textes Mathieu Kassovitz et Gilles Favier, graphisme Vincent Perrottet, Maison CF / Clémentine de la Féronnière, 2020, 192 pages
Signature à la librairie La Comète (Paris) le 21 juillet à 18h30 – présence de Gilles Favier et Mathieu Kassovitz
Re-sortie du film en salle le 5 août 2020, et du DVD collector en novembre