
Il faut remercier les éditions Atelier EXB de produire des livres aussi beaux, aussi impeccables, aussi définitifs.
Accompagnant l’exposition éponyme à la fondation Henri Cartier-Bresson (Paris), Londres, 1959, de Sergio Larrain, est une invitation majuscule à entrer avec lui dans le fog de la capitale britannique, et de l’imaginer suivant les traces de l’admiré Bill Brandt.
En 1959, les écoliers de The Quarrymen, John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Colin Hanton, inventent à Liverpool une musique nouvelle, appelant un an plus tard The Beatles le centre du monde musical.
En 1958-1959, bénéficiant d’une bourse octroyée par le British Council, le photographe chilien né en 1931, accueilli à Londres pour une résidence de quatre mois, y réalise son premier essai d’importance, intégrant dans la foulée de ce voyage l’agence Magnum Photos, avant de se retirer à partir de 1971 à Ovalle, dans son pays natal, afin de s’y livrer essentiellement à la méditation, au yoga, au dessin, et d’y mener, dit la légende, une vie d’ermite.

Après Sergio Larrain (2014), Valparaiso (2016) et El Rectangulo en la mano (2018), Londres, 1959 est le quatrième livre du génial photographe publié aux éditions Xavier Barral.
Sergio Larrain comprend Londres à partir de la Tamise, montant sur une barge, observant ses quais, ses oiseaux : ce pourrait être un conte, ou un espace purement mental.
La ville apparaît pour s’effacer, se troubler, devenir un fantasme.
Le regard est celui d’un exote, attentif aux signes de l’idiosyncrasie locale (the Tower Bridge, un bus à double étage, des taxis noirs, d’élégants gentlemen en redingote et chapeau melon, des bouteilles de lait posées sur le trottoir devant une habitation, un policeman).
La foule sort d’une bouche de métro : Londres est une ville qui travaille, densément peuplée, intense.
Lorsqu’elle se presse sur un pont alors que la brume se répand, nous pourrions être sur quelque corniche du Purgatoire.
Des volailles sont emportées sans ménagement par deux paysans photographiés de dos. Ils sont flous, ce sont des voleurs traversant une page d’un roman de Charles Dickens.
L’objectif tangue, la vision bascule, les angles tranchants sont ceux d’un caricaturiste discret, amusé, étonné.
Londres est multiculturelle, mais que peut donc représenter un Sikh pour un voyageur né à Santiago du Chili ?
Le regardeur est regardé, il inquiète peut-être, intrigue assurément, jusqu’au cheval secouant ses œillères.
Pour Larrain, la vie s’exprime dans la rue, c’est un théâtre permanent.

La pluie est fine, les jardins immenses, la foule tendue.
Dialectique du vide et du plein : time is money.
A Londres, Sergio Larrain contemple l’humaine condition, laborieuse, courageuse, involontairement drôle dans son maintien et ses souhaits de discipline.
Les lords de la Westminster Bank tiennent le monde du bout de leur parapluie, tout est si sérieux.
Mais le soir, il y a les pubs, les cabarets, les flirts et les boites à strip-tease.
En avant la musique, en avant la danse, en avant l’alcool.
A vingt-sept ans, Larrain est très certainement déjà un sage, mais c’est aussi un jeune homme ne dédaignant pas la sensualité de l’existence, la fête, la joie de vivre, butant cependant sur le dernier métro et la solitude.
Sergio Larrain, Londres, 1959, textes Agnès Sire & Roberto Bolaño , Atelier EXB, 2020, 176 pages – 95 photographies noir et blanc
Exposition Fondation Henri Cartier-Bresson, 8 septembre au 18 octobre 2020
Fondation Henri Cartier-Bresson