A la rencontre de Gustave Courbet, par Lin Delpierre, photographe, et François Laut, écrivain

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© Lin Delpierre

« Une petite route qui serpente vers la Suisse, terre d’exil… »

Voici le type de proposition qui m’enchante immédiatement : un écrivain (François Laut) et un photographe (Lin Delpierre) œuvrant de concert pour tenter d’approcher au plus près l’univers d’un autre artiste, en l’occurrence le peintre Gustave Courbet en son Jura natal.

Appelant leur travail en commun La voiture du paysage (éditions L’Atelier contemporain), faisant ainsi référence à la carriole qu’utilisait Courbet pour se déplacer dans le Doubs, l’œil qui écrit (l’un) et l’oreille qui voit (l’autre), voyageant sur les pas du peintre, ont composé un livre de grande beauté, très subtil, sans éclat déplacé.

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© Lin Delpierre

Il s’agit tout autant de comprendre que de ressentir, et d’interroger des chemins d’inspiration, sans prétendre un instant avoir épuisé le sujet.

Courbet est né il y a deux cents ans, mais ses paysages – le Puits-Noir, près d’Ornans, les sommets vus du lac Léman, les chaînes alpines -, n’ont pas d’âge, fixés en traits de pinceaux et couleurs, en mots et en photographies.   

L’humour inaugurant cet ouvrage de format carré imprimé sur papier glacé est de bon augure, reprenant une phrase du peintre (juin 1862) : « […] Enfin à bien des choses, malheur est bon puisqu’on est obligé de rencontrer dans la vie des photographes partout et qu’on finira par en trouver dans le beurre et sur la soupe, il faut se résigner… »

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© Lin Delpierre

Courbet aimait les femmes, fortes, originales, admirant même « les amazones de la Commune qui prirent le fusil ».

Parmi les paysages qu’a photographiés Lin Delpierre, il y a des sources, des grottes, des origines du monde, et la nudité d’une femme aux cuisses puissantes, plantée en avant-plan d’un cours d’eau, regardant fixement le spectateur, superbe, sauvage.

Le photographe l’a probablement ajoutée en superposition de son image, découpant érotiquement sa silhouette, en faisant le symbole même du désir de représentation.

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© Lin Delpierre

François Laut évoque des thèmes traversant l’œuvre du peintre (la croix, la série des Puits-Noir, les ruisseaux à truites, la nature de son pays natal), son texte est précis, sans manquer d’être léger, ponctué d’anecdotes, de remarques biographiques savoureuses, de courts dialogues (avec Baudelaire notamment).

« Les deux côtés de Courbet, le côté Jura et le côté Paris s’épaulaient l’un l’autre. Il y avait l’atelier de la rue Hautefeuille et l’atelier de la route de Besançon. Quand il a ouvert son éphémère école parisienne, il a fait venir un bœuf pour ses élèves ; quand il a décoré son nouvel atelier à Ornans, il a peint la Seine à Bougival. »

Pour retrouver Courbet, il faut aller aux paysages comme on va au musée.

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© Lin Delpierre

Les photographies de Lin Delpierre – cinq séries de huit photographies – ne sont surtout pas illustratives, ce sont de doux échos, des conversations silencieuses avec les toiles du peintre.

Des futaies, des sous-bois, des eaux, des reflets, des floraisons, des gouffres.

Leur matière tout en nuances de noirs est voluptueuse, très sensuelle.

La nature ici représentée conduit à la joie, à l’apaisement, à la stupeur devant la merveille du simplement là.

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© Lin Delpierre

Une vache apparaît en couleur, puis un drapeau suisse, puis une tombe : une vie de peintre.

On est bien ici, sans masque, au grand air, dans la campagne et aux sources de la Loue.

Des falaises, de la neige, une harmonie, loin de tumulte de l’Histoire, à laquelle Courbet participa pleinement.

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© Lin Delpierre

François Laut se souvient de cette lettre écrite à son amie Lydie Jolicler à l’automne 1871, alors qu’on a mis le maître est en prison après l’avoir enchaîné et traîné dans les rues de Paris : « Dans ces moments de solitude terrible entre la vie et la mort (car vous ne pourrez imaginer ce que nous avons souffert), on se reporte involontairement à son jeune âge, à ses parents, à ses amis. J’ai parcouru surtout tous les endroits que je parcourais enfant avec ma pauvre mère (que je ne reverrai plus, chagrin profond et unique de tous les revers qui m’ont accablé depuis vous). J’ai revu dans le miroir de ma pensée les prés de Flagey, où j’allais avec elle aux noisettes ; les bois de sapins de Reugney où j’allais aux framboises, que sais-je… Je pensais aux gâteaux qu’elle me faisait cuire dans son four. C’est singulier, dans ces moments suprêmes on pense aux choses les plus naïves. »

Comme on ouvre avec le sentiment du temps retrouvé La voiture du paysage.

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Lin Delpierre & François Laut, La voiture du paysage, Vies de Gustave Courbet, éditions L’Atelier Contemporain, 2020, 140 pages

Editions L’Atelier Contemporain

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Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Laut dit :

    Merci pour cette double lecture à la fois fine et attirante…

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