« A Aulus, j’écoute et je marche, réel et fiction s’entremêlent. »
Ma lecture est sûrement tronquée par mes visions d’un autre lieu superbe situé dans les Pyrénées françaises, mais Aulus, premier récit de Zoé Cosson, publié par Thomas Simonnet dans la collection L’arbalète de Gallimard, me fait constamment songer à la vallée d’Aspe.
« Ce livre, écrit l’auteure en préface, est le portrait rapiécé de ce lieu sans contour, un espace fait de calques, une sorte de cartographie qui n’élucide rien. Ce n’est ni une histoire, ni un bloc. »
Station hydrominérale située en Ariège, ayant connu son heure de gloire à la Belle Epoque, Aulus est aujourd’hui un village de taille très modeste, où la narratrice se rend chaque année depuis son enfance.
Son père y ayant acheté un hôtel aux chambres vides (celui d’Etsaut est à vendre, contactez-moi), la narratrice en fait son camp de base pour des randonnées et des explorations d’un écosystème fragile.
« Aulus tient et persiste donc dans un coin de ma tête. Ce village ramassé, esseulé au fond d’une vallée étroite que la déprise rurale et industrielle a progressivement usée, élimée, vidée, se borne à la montagne. Il s’y confronte, il s’y soumet. En raison de cette topographie spécifique, Aulus m’est toujours apparu comme un terminus géographique. On ne passe pas à Aulus, on s’y rend. » – comme lorsqu’on vient à Brest.
Livre d’observations composé de vingt-deux chapitres courts, Aulus est un éloge de la géographie, une façon d’exprimer le génie d’un lieu par la manière dont la pierre, l’eau, les herbes et les ciels s’abouchent et se distinguent.
Une enfant de huit ans découvre un grand hôtel délabré, l’odeur de salpêtre, l’immensité d’une ancienne salle de bal.
A Aulus, les commerces tiennent par la fermeté psychologique de leurs propriétaires, l’épicerie très bien achalandée tenue par l’énergique Marie, la boucherie maintenue en vie par un autochtone, solide, faisant corps avec des lieux qu’il n’a jamais quittés : « Il parle et les mots gigotent comme du gravier entre ses lèvres. Les touristes sont ravis. »
On évoque quelquefois, comme dans la vallée d’Aspe, l’ours et la centrale hydroélectrique, on s’échauffe, dans l’encerclement des montagnes indifférentes à la comédie humaine.
« Le village, poursuit Zoé Cosson, est une surface cabossée, boursouflée, qui cloque et se soulève brusquement sur ses bords pour épouser l’élan des montagnes. Seules deux rues le traversent, le reste est un écheveau de ruelles sinueuses comme de l’eau, à peine assez larges pour une voiture. »
Il y a ici comme dans bien d’autres villages pyrénéens des voisins anglais, et des jeunes à la recherche d’expérimentations existentielles nouvelles.
Tentative de description d’un lieu, Aulus est aussi le portrait d’un père traversant les saisons et les épreuves (une chute, un corps qui se détraque), comme des habitants les plus singuliers, Fafa le menuisier aux doigts coupés, Pince-cul le blagueur, René le chercheur de branches anthropomorphiques, Paul l’équilibriste, Pierre l’amoureux transi.
Mais c’est aussi un livre d’apprentissage, d’attente, d’initiation aux beautés de la nature : « J’apprends les chemins d’herbe écrasée, tapis, les routes de ruban gris, les cirques où se marient l’eau, la pierre, le gispet. J’apprends le mot gispet. L’herbe glissante, gelée, mouillée, trop grasse. J’apprends les arbres solitaires qui poussent droit malgré le dévers, les passages délicats, les échelles en fer à béton vissées sur la roche, le corps serré contre la montagne, pendu dans le vide. »
Chronique d’un village de bout du monde, de ses habitants ayant le plus de relief, des petits et grands événements quotidiens – les taons, les élections, la centrale, la mine de tungstène, les morilles – Aulus construit avec beaucoup de délicatesse et de pudeur le récit d’une relation à un territoire à la fois familier et demeurant objet de curiosité, dans l’attention constante portée aux métamorphoses d’un père absolument respecté.
Zoé Cosson, Aulus, collection L’arbalète dirigée par Thomas Simonnet, Gallimard, 2021, 108 pages