
Documentant les dernières années de la cité Degroote (2019-2021), située à Téteghem Coudekerque-Village, près de Dunkerque, Nanda Gonzague est allé d’abord à la rencontre des habitants.
En cet ensemble de 428 logements HLM construits de 1975 à 1978, l’artiste a regardé un quartier populaire dans lequel il a vécu en immersion, créant une relation de confiance avec chaque personne photographiée, observant sans pathos, mais de cœur à cœur, la façon dont vivent ici les familles.

Invité par le Conseil citoyen du quartier Degroote, composé en majorité de femmes, Nanda Gonzague a été invité durant sa résidence à observer la vie d’un quartier dont la démolition complète des logements est programmée.
Objectif : garder la mémoire, faire lien, proposer un accès large à la culture – noblesse des missions de l’éducation populaire – en des lieux où la ségrégation spatiale s’accompagne souvent d’une forme d’exclusion culturelle.
©Nanda Gonzague
Classé en zone urbaine sensible (ZUS) en 1997, Degroote en ses immeubles de sept à huit niveaux a longtemps été une passoire thermique, mais les façades sont en couleur.
Il y a des panneaux de béton gravillonnaire préfabriqué, des toitures-terrasses, des baies hexagonales, des espaces verts, une aire de jeux, des garages, un groupe scolaire, un espace médical, une salle de sport, une antenne sociale, un bureau de poste mobile, une supérette, une halte-garderie.

On a construit en 1992 une chapelle, détruite six ans plus tard.
Devant l’importance des malfaçons, de l’humidité endémique et des effritements dangereux, a été actée par les pouvoirs publics la démolition et la reconstruction totale du quartier.
Mais on n’efface pas ainsi des vies, il fallait des témoins, des rapporteurs de paroles, un photographe.

La série photographique de Nanda Gonzague, formé du côté de l’agence Rapho, est une vision de politique fraternelle servie par une esthétique très sensible à l’organisation colorée des surfaces, comme à la diversité des visages.
L’ordinaire n’est banal que pour les blasés, les affairés ou les surmenés.
Bien au contraire, il est de grâce pour qui sait en saisir la part de singularité et d’irréductible.

On pourrait être à Liverpool avec Tom Woods, mais non nous sommes de l’autre côté de la Manche, dans le bricolage existentiel et les beautés franches du peuple de la société industrielle, entre pinces à linge roses, petit cabanon en tôle, et yucca étique.
Les visages sont ceux de la diversité, de la jeunesse, des ouvriers, des moins considérés.
Il y a de la cocasserie quelquefois, une façon de se mettre en scène dans le décalage, de jouer avec les apparences et les codes de séduction des dominants.

L’œil de Nanda Gonzague, nourri d’égalité, cherche en chacun la part humaine la plus belle, les turpitudes ou bassesses éventuelles ne le concernent pas.
Contre les nihilismes se repaissant du spectacle de la misère, lui parie sur le monde commun, la dignité, la tenue morale.
©Nanda Gonzague
S’il montre quelquefois l’ennui des habitants, ou leur mélancolie, le photographe s’attache surtout à témoigner d’un vivre-ensemble possible, comme dans un village.
Nanda Gonzague, Un quartier français, textes Antoine Tricot, Paul Leroux, Christiane Vollaire, conception graphique Pierre Gaudin et Aude Garnier, édition Claire Reverchon, Créaphis éditions, 2021, 128 pages
©Nanda Gonzague
