©Claude Nori
« Certains instants échappent (presque) au temps. »
Composé de trois parties, Chaos, du poète Joël Baqué, est un ensemble de variations toutes en douceur glissée et fines notations sur le thème du chaos : des filles et des garçons sur les plages, des roches et des montagnes, des buses sur leur piquet et des proies qu’elles déchirent.
« Du point de vue busien, / le piquet améliore le pré. // (un pré sans piquet reste un pré sans buse) »
Des filles et garçons bronzés d’airain comme des doryphores.
On se regarde, on rit, on se mêle.
Des strophes très courtes, d’un ou deux vers, des mots simples, des parenthèses de délicatesse, comme pour préciser les sensations, comme des murmures ou des caresses de voix et de sous-voix.
Le sable ? « (il est humide) »
Les garçons (« un chaos à eux-mêmes »)
Les filles (« de petits soleils sous les tee-shirts continûment rayonnent »)
C’est l’été des flirts, des troubles et des mélancolies.
Les filles ne comprennent pas vraiment les garçons, mais les regardent.
Les garçons ne comprennent pas vraiment les filles, mais les regardent.
On s’allonge entre les oyats.
Le poète observe, frissonne dans sa solitude.
On donne une forme au chaos, qui s’appelle digues (pour les vagues), châteaux de sable (pour le temps), guirlandes d’ampoules (pour la lumière), vêtement (pour la peau qui s’effondre).
On échange des clignements de paupières.
Passent des mouettes, ou une buse égarée (partie 2), visée par l’arquebuse : coup d’épée dans l’eau.
C’est la dérive des moraines, des congères, des congénères, des vies s’éboulant de roc en roc, de filles en garçons, de garçons en filles, de filles en filles et de garçons en garçons.
« Revenir à moraine comme à un prénom. // (si l’on a aimé une Moraine, alors on y revient (ou pas)) // (Moraine du temps des filles dorées, / quand on était un garçon agité) »
Comme le poète, comme Stéphane Mallarmé, comme Francis Ponge, la buse observe (partie 3).
Considère des qualités et nuances de vert.
« (un environnement verdoyant (exubérant) / ruine l’acuité de la vision brusienne) »
Considère des hauteurs de piquets.
« Les piquets de grève sont rares, / donc rares aussi, postées en grève, / les buses. »
Trois chaos est un delta rempli de mangroves se nommant, dans la légèreté d’un song entêtant, filles, garçons, moraines et buses – pas du tout désabusées.
Joël Baqué, Trois chaos, P.O.L., 2021, 72 pages
Merci au photographe Claude Nori pour son oeuvre dédiée au bonheur