©Isa Brivady
« De ma fenêtre d’Ivry-Port où j’habite depuis 1994, je parcours, explore et photographie tous les quartiers. En réalisant ce projet je tenais à ce que tous les « hauts lieux » de la ville soient représentés. » (Ianna Andréadis)
Chaque vue photographique est un tableau, prenant soin de doubler l’axe de vision par la présence d’un encadrement de fenêtre, baie vitrée en pvc, œilleton ou structure en bois.
©Gladys Gosnat
Nous sommes à Ivry-sur-Seine, où vit Ianna Andréadis ayant initié un projet participatif avec plus de deux cent cinquante habitants, approfondissant un protocole artistique déjà expérimenté à Athènes et Alger.
Dans l’espace situé entre le chez soi – presque toujours des appartements – et l’extérieur, il y a l’aventure d’un regard, d’un horizon, d’une organisation des formes.
Un espoir aussi peut-être, de retrouver le grand dehors une fois que le confinement sera fini – les photographies ont été prises entre 2020 et 2021.
©François Lequeux
Ce qui se donne à voir avec Par nos fenêtres, ouvrage publié par Créaphis éditions, est fascinant, des hauts-fourneaux, des toitures de toutes matières, des routes, d’autres habitations, des végétaux, et des théories de ciels très émouvants en leur indépendance et dans le nomadisme des nuages qui les parcourent.
On pourrait s’attarder longuement sur chaque image, observer le génie des constructeurs de balustrades, les fers forgés, la façon dont chacun prolonge par l’ouverture des fenêtres une part de son intimité.
Tout ici est silence, mais également clartés, beautés nocturnes et jeux de clairs-obscurs.
©Magali Favriou-Thorez
Le sociologue devinerait des habitus, conjecturerait, inventerait ce que le plasticien observerait comme des intensités métaphysiques, et le littéraire des microfictions amorcées sur fond d’absurde.
Il y a des tours d’habitation sans joliesse, des fumées d’usine, des placettes grises, une sorte de banalité contemporaine universalisable, mais l’on se dit aussi, au-delà d’une réflexion possible sur les variétés architecturales et le degré de confort supposé de tel ou tel logement, qu’en ces lieux la vie peut être désirable tout aussi bien qu’en maints endroits ancrés dans un paysage immuable.
Un chat nous contemple, des mouettes taquinent le regard, et le constat du rythme des saisons – neiges, éveil du printemps, douceur de fin d’été – nous décale de nos préoccupations humaines trop humaines.
©Gilles Baton-Liegat
On décèle quelquefois en ces photographies prises par des non professionnels une attention envers la surréalité ordinaire, le plaisir malicieux de montrer un moulin au milieu des immeubles, ou le bec d’une grue démolissant une tour d’habitation.
La géométrisation des fenêtres vaut géométrisation des vies, inventant par le bricolage existentiel des voies de contre-allées.
Evoquant une œuvre chorale, construite sur le mode de la pluralité optique, Danièle Méaux, professeur en esthétique et sciences de l’art à l’université de Saint-Etienne, spécialiste de la photographie contemporaine, s’interroge sur le motif de la fenêtre en histoire de l’art et le recours à la mise en abyme, écrivant avec justesse : « Aux antipodes d’une vision globale de la cité telle qu’elle est parfois conceptualisée par les aménageurs, l’ouvrage d’Ianna Andréalis livre une mosaïque de points de vue, subjectifs et situés, au travers desquels la ville se fait symphonie visuelle, faite de complexité et de multiplicité. »
©Ianna Andreadis
Cette circulation entre espace privé et espace collectif, refuge intime et aventure d’un territoire vécu collectivement, ne dialectise-t-elle pas le double besoin humain d’ancrage et de migration ?
Ianna Andréadis, Par nos fenêtres, texte de Danièle Méaux, direction éditoriale Claire Reverchon, Aude Garnier et Pierre Gaudin, Créaphis éditions, 2021, 264 pages