Rester libres, par Richard Malka, avocat

une-charlie-hebdo

« C’est à nous, et à nous seuls, qu’il revient de s’engager, de réfléchir, d’analyser et parfois de prendre des risques pour rester libres d’être ce que nous voulons. C’est à nous et à personne d’autre qu’il revient de trouver les mots, de les prononcer, de les écrire pour couvrir le son des couteaux sur nos gorges. »

Il est rare de publier l’intégralité d’une plaidoirie.

« Je n’en ai rien à faire de l’Histoire. Je veux plaider pour aujourd’hui, pas pour demain, pour les hommes d’ici et maintenant, pas pour les historiens du futur. »

Avocat de Charlie Hebdo, lors du procès des attentats de janvier 2015, Richard Malka a écrit Le droit d’emmerder Dieu pour faire entendre l’inflexible voix de la raison aux frileux, censeurs et criminels, et défendre la liberté d’expression, notamment de se moquer des religions, acquis à la Révolution française.

Dieu aime très certainement qu’on rie de Lui.

Serait-Il si faible qu’Il aurait à craindre les provocations de simples dessinateurs ?

A l’issue d’un procès « épique, tragique, tourmenté et à certains égards romanesques », Richard Malka dit le droit contre la force, la diversité des opinions contre l’aveuglement meurtrier sur fond de totalitarisme religieux, l’absolue nécessité de la présence de l’Autre – dont le Juif pourrait être le parangon – contre le fanatisme des zélateurs du Même.

Pendant le procès, d’autres attentats furent commis au couteau ou au hachoir – contre l’enseignant Samuel Paty, dans une basilique à Nice, rue Nicolas-Appert à Paris -, le mal engendrant le mal, qu’une parole de vérité, qu’un jugement définitif, viendra peut-être arrêter.

Les terroristes manient comme personne l’arme de la peur, ils ne supportent pas nos jouissances.

« Ils détestent nos libertés et ils ne s’arrêteront pas. Et vous savez pourquoi ? Parce que nous aussi nous sommes l’Autre. Parce que nous sommes un des rares peuples au monde – c’est comme ça – à être porteur d’un autre universalisme, qui s’oppose au leur. Mais le nôtre, celui de notre révolution, est porteur de raison et de liberté, quand celui de ces fanatiques est construit sur le dogme et la soumission. »

Menaces de mort, protection policière, égorgements.

« C’est aujourd’hui qu’il faut se battre, aujourd’hui que cela se joue. »

Jette-t-on de l’huile sur le feu lorsqu’on republie les caricatures de Mahomet ? Allons, un peu de sérieux, les tueurs n’en attendent pas autant, ou si peu, pour exercer leur pouvoir de néantisation. Tout prétexte leur sera bon.

Pactiser ? Se taire ? Se cacher ?

Quel prix acceptez-vous de payer pour être libres, et permettre à vos enfants, à vos proches, de ne pas vivre sous la terreur ?

Pourquoi s’autocensure-t-on dès qu’il s’agit de l’islam ?

Y aurait-il un régime d’exception pour cette religion ?

Revenant de façon salutaire sur l’histoire des caricatures – et l’acte inaugural de l’assassinat dans une rue d’Amsterdam du réalisateur Théo van Gogh le 2 novembre 2004 -, Richard Malka rappelle le rôle de quelques imams danois – essentiellement de la tendance des Frères musulmans – ayant ajouté, pour attiser le feu de la haine dans les pays musulmans, aux caricatures déjà publiées dans le journal Jyllands-Posten, trois autres dessins particulièrement violents symboliquement puisés dans d’autres contextes.

Tout commence donc avec une falsification opérée par des escrocs et des idéologues, qui, eux, sont les véritables blasphémateurs de la religion qu’ils prétendent honorer.

Ceux qui condamnent le droit à se moquer de l’islam savent-ils cela ? Cette vérité leur importe-t-elle d’ailleurs quand, à leurs yeux, l’Occident est coupable quoi qu’il en soit ?

La France ayant été le premier pays au monde à abolir le délit de blasphème devrait-elle abandonner devant la menace des extrémistes religieux cette avancée fondamentale ?

Les penseurs des Lumières devraient-ils avoir honte de leurs successeurs si faiblement modernes ?

Emmanuel Todd, Edwy Plenel et consorts, prenant la défense des faibles et des humiliés dans une position de solidarité victimaire ambiguë, ne desservent-ils pas au contraire la cause de la liberté et du respect de tous qu’ils prétendent défendre ?

Le droit au blasphème, dont le doux Cabu était un héritier, débute, rappelle l’avocat romancier (lire Voleur d’amour) avec le physicien Maupertuis vers 1740, savant ayant réussi à prouver que la Terre est aplatie en ses deux pôles, cette remise en question du dogme de la rondeur n’étant que le prélude à la vaste entreprise de l’Encyclopédie menant par sa force de dessillement à la Révolution.

« Et en 1791, les révolutionnaires vont supprimer le délit de blasphème du code pénal. Pourtant, deux cent vingt-quatre ans plus tard, Cabu est mort d’avoir blasphémé ! 1791, c’est aussi l’année du décret accordant l’égalité pour les Juifs. Encore une fois, la question est intimement liée à la liberté d’expression. Il va falloir un siècle de plus pour passer de la proclamation à la concrétisation. En 1881, c’est la grande loi sur la liberté de la presse, un des piliers de notre République, qui est votée le 29 juillet. »

Un procès peut être aussi l’occasion de faire de la pédagogie.

Georges Wolinski, François Cavanna et le professeur Choron devraient-ils se retourner sans fin dans leur tombe devant la démission morale de nombre de leurs confrères actuels ?

« Ce journal, affirme Richard Malka, reste l’empêcheur de tourner en rond d’une époque que nous n’avons probablement pas vu changer. Une époque où le rire est redevenu sacrilège. (…) Ce journal vit dans un bunker, mais il vit. Il vit avec des journalistes qui ne peuvent plus marcher dans la rue à côté de leurs épouses ou de leurs enfants mais il vit. Il vit entouré de policiers, mais il vit. Il vit avec ses disparus et ses blessés. Il vit sous les menaces d’Al-Qaïda, de Daech, du Pakistan, de l’Iran, de la Turquie d’Erdogan. (…) Ce minuscule journal de vingt personnes a été emporté malgré lui dans le tourbillon de l’Histoire, et c’est devenu un symbole. Il représente une Idée, et il ne mourra plus. Jamais. On ne tue pas une idée. »

Les crimes contre les journalistes de Charlie furent au fond des actes antisémites commandités dès l’origine par des imams danois falsificateurs.

Leur concéder notre liberté d’expression serait accepter l’ordre des assassins, le piège du mensonge et de la culpabilisation, la lâcheté devant des tueurs dont les agissements ne s’arrêteront pas là.

On a condamné avant leur assassinat, politiquement, médiatiquement, et quasi unanimement, les caricaturistes de Charlie Hebdo – Richard Malka rappelle les propos vils de nombre de décideurs politiques ou de personnalités médiatisées.

Pourtant, le soir même des attentats, sans aucun mot d’ordre, spontanément, une foule se pressait à Brest et ailleurs, sur toutes les place de la Liberté de France, parce que le peuple s’est alors rendu compte qu’à partir de ce moment de basculement dans le meurtre de l’intolérance fanatique quelque chose se jouait des valeurs de la République – à protéger absolument, et collectivement.   

« Le temps est venu pour moi de prononcer mes derniers mots, conclut l’avocat. Ils seront pour Charb évidemment. J’ai tenu à ce que Denise et Michel, ses parents, soient dans cette salle. Votre fils était magique, il faisait partie de ces êtres qui laissent une trace éternelle chez ceux qu’il croise. Il nous inspire, il nous oblige, et dans les moments de doute, quand la lassitude nous gagne, quand on en a assez, quand on a envie de retrouver une vie normale, c’est encore lui qui nous donne du courage. »

Cette plaidoirie devrait être offerte aux lycéens et étudiants de notre pays.

009678680

Richard Malka, Le droit d’emmerder Dieu, Grasset, 2021, 94 pages

Richard Malka – site Grasset

logo_light_with_bg

Se procurer Le droit d’emmerder Dieu

Laisser un commentaire