
©Antonio Jiménez Saiz
Dans l’éternel retour du même, il y a lui, l’homme voûté, l’accablé de toujours, l’homme-courage, petit frère lointain d’Atlas et de Sisyphe, l’individu contemporain, vacillant mais debout, protégé des anges kafkaïens.
Il pèse 110 grammes, et existe quarante fois à trente exemplaires.
La paix, nulle part ailleurs est un double livre/fanzine composé de quarante portraits du même homme imprimés sur un cahier souple non agrafé, et d’un texte, publié de façon indépendante, structuré par des effets de réitération : « Tu tiens sur tes épaules le monde et le ciel. »
Antonio Jiménez Saiz, dont on sait désormais l’absolue nécessité des travaux dans une époque perdant peu à peu toute substance, en est le photographe, et Emmanuel Régniez l’écrivain.
Cet homme, qui pourrait être un magistrat ou un notable espagnol, possède le visage de Philippe Roth, mais ses traits, étonnamment, sont aussi ceux, sans qu’il ait besoin de se grimer ou de se contrefaire, de Pierre Guyotat, de Guy Marchand et de Michel Piccoli.

©Antonio Jiménez Saiz
Cet homme, c’est eux tous ensemble, mais c’est aussi vous, moi, au-delà du théâtre, des illusions, et le garçon ardent là-bas qui court insouciant vers son destin.
La sérialité du procédé fait songer à de la musique minimaliste ou répétitive, à un jeu de variations très ténues, très belles, conduisant à une sorte d’envoûtement de l’esprit.
L’homme est gris, le col de son manteau est remonté sur son cou, comme un prêtre ou un révérend de l’église anglicane.
Parce qu’il fait froid, parce que le sang est un feu glacé, parce qu’il faut survivre dans la nouvelle ère glaciaire.

©Antonio Jiménez Saiz
Antonio Jiménez Saiz se propose d’étudier un double de lui-même, transi par une solitude ontologique effrayante, mais aussi conduit intérieurement par la grâce d’être toujours en vie.
La bouche est fermée, strictement, il n’y aura pas de confession, pas d’aveux déchirants, pas de débondage.
C’est la guerre, c’est l’introspection, c’est le temps lui-même en sa solennité de deuil.
On songe à John Coplans se tenant le menton, ou à un milan près à s’envoler.
« Tu voudrais, bien sûr, comme c’est normal, écrit magnifiquement Emmanuel Régniez, te reposer, poser le monde et le ciel côte à côte, et pouvoir, oui, toi aussi te reposer ; mais il n’y a personne pour prendre ta place ; mais il n’y a personne pour soutenir, à ta place, le monde et le ciel ; personne n’est assez fort, n’est assez tenace, pour soutenir le monde et le ciel à ta place. »

©Antonio Jiménez Saiz
Il fallait bien que quelqu’un se décide à tenir tout l’espace par sa seule présence obstinée.
Non par orgueil, ou suffisance, mais humblement, comme un journalier, ou un faucheur de blé.
Ecce homo, c’est lui, qui peut-être ne le sait pas encore.

Antonio Jiménez Saiz, La paix, nulle part ailleurs, volume 1, texte Emmanuel Régniez, autoédition, 30 exemplaires numérotés

©Antonio Jiménez Saiz
Un titre, des images, le texte de Fabien Ribery… comme tout est étrange ce matin… et donne envie de lire Emmanuel Régniez… on fait comment pour commander ces 110 grammes en 30 exemplaires ?
Il y aura quarante volumes ?
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