L’énigme d’un père, par Martin Gallone, photographe

©Martin Gallone

« Ton père a eu trois vies. Une intensité folle. C’était une force de la nature. Je fais un quart de ce qu’il fait, je meurs tout de suite. Il nous a beaucoup donné. Il donnait tellement que peut-être certaines personnes ont un peu abusé de lui. C’était un soleil, mais il fallait un peu calmer le jeu parfois. » (Alain Reynaud, ami de Martin Gallone)

Les mères sont à l’honneur dans la photographie contemporaine – voir les livres de Mickaël Vis, Lisa Gervassi, Georgia Maria Papoutsi, et les articles afférents dans L’Intervalle -, mais les pères, qui s’en occupe, qui les célèbre, qui les soigne, qui les regarde vraiment ?

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Une éditrice bruxelloise, Camille Carbonaro – Macaronibook -, leur dédie une collection intitulée « Baleine Blanche », dont le quatrième volume vient de paraître, La Cambuse, de Martin Gallone.

La Cambuse était le nom du restaurant du père de Martin Gallone dans les années 1980 en Ardèche.

Philippe Gallone était considéré comme un bon vivant, un humaniste, un soixante-huitard, un rêveur bourré d’énergie.

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Pourtant, cet être solaire a mis fin à ses jours alors que son fils avait deux ans.

Composé de deux parties – des images d’archive issues des albums familiaux, et un cahier indépendant de témoignages permettant de mieux comprendre qui était cet homme -, La Cambuse se présente comme une énigme sans résolution, laissant à chaque lecteur le soin de ne surtout pas juger, en laissant flotter le sens tout en s’attachant au visage d’un être plus complexe que toute tentative de description analytique.

Une barbe, une bergerie, une bâtisse en pierres, nul doute, nous sommes ici du côté de l’utopie hippie ayant trouvé son expression sociale dans un territoire ouvert aux expérimentations existentielles.

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Un métier à tisser, une lettre envoyée d’Afghanistan, l’art de la fête.

Un fils regarde son père, des traits de se transmettent, le visage de l’un est le reflet de celui de l’autre, sans en être le double.

Pour que l’enfant endeuillé puisse pleinement accomplir son processus d’individuation, il fallait probablement le truchement de l’art, et le grand brassage des images d’une vie.

Vous prendrez bien un « cocktail astrologique » à quarante francs ?

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Tiens, un Scorpion – on en trouve quelquefois dans les pêches ardéchoises : « Kirsch, crème de framboise, jus de pomme. »

Ou un Sagittaire : « Eau de vie de framboise, curaçao bleu, crème de myrtille. » 

On fait la cuisine (faisan à la cocotte, turbot poché, anguille frite), on partage, on s’amuse, on montre ses fesses, on a les yeux rouges et l’air hilare.

Théâtre, musique, jeux.

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L’Ardèche est une Atlantide, un des derniers espaces libres.

Philippe Gallone ? un homme capable de monter un bataillon de majorettes avec des mecs en jupettes blanches pour la fête de Carnaval (témoignage d’Alain Reynaud)

Isabelle Collange, ex-épouse : « C’était quelqu’un d’assez fascinant. Une énergie folle, presque monstrueuse. Avec le recul je peux dire monstrueuse. Il avait une force d’attraction pour embarquer les gens, mille idées à la seconde et c’était un bosseur fou. Je suis tombée sous le charme de cet homme et je l’ai vraiment aimé. »

Philippe Gallobe brûlait sa vie.

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Etait-il bipolaire, comme ses amis ont pu en faire l’hypothèse ? Oui, peut-être.

Ou trop sincère, trop vrai, trop excessif, trop aimant. 

Evoquant sa mort, Alain Reynaud est bouleversant : « Sa disparition. La mort c’est étrange. Premièrement ça fait partie du monde, ce n’est pas une option. Les gens que tu as connus et qui sont partis trop tôt continuent de vivre. Il reste une présence, une parole, c’est là. Nos absents sont là. On ne pourrait pas être présent s’il n’y avait pas les absents. Si tout le monde est présent ce n’est pas pensable. C’est comme une arrière-salle que l’on sent tout le temps avec nous. Plus tu avances dans le temps, plus tu as des gens qui partent autour de toi et cela te change. Leur absence te change et crée des présences autrement. Si on arrive à passer le cap du drame, ça devient des guides. »

La Cambuse, c’est cela, une main tendue vers un guide.

Martin Gallone, La Cambuse, archives Philippe Gallone, editing, conception et mise en page Camille Carbonaro & Martin Gallone, éditions Macaronibook, 2022 – 300 exemplaires

https://macaronibook.com/fr/product/la-cambuse/

©Martin Gallone

http://martingallone.com/

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