
Qu’il photographie en France, aux Etats-Unis, en Espagne, en Italie, en Algérie, en Birmanie, en Ecosse ou en Inde, Yves Glorion ne cherche pas l’anecdote, mais la sensation d’atemporalité, et de permanence dans le mouvant.
Composé de soixante-dix-sept photographies d’errance, datées de 1977 à 2019, son premier livre autopublié – paru durant la période du confinement – rend compte, un peu partout sur la planète, du spectacle du monde, n’ayant nul besoin d’être grandiloquent pour être fascinant.
Il y a des voiles, des gazes, des dentelles, du linge blanc jouant les funambules sur un fil de plein air, des traces, des sillons, une organisation formelle des apparences relevant d’un ordre supérieur.
Les Anciens pensaient présages, auspices, ornithomancie, nous qui sommes devenus pauvres en monde, et de peu de richesse intérieure, ne voyons généralement plus rien.
Il faut l’art pour médiatiser, transmettre, révéler le trésor inaperçu des signes nous environnant.

Il faut le champ magnétique d’un appareil de vision faisant venir à lui, dans le tranchant du cadre, ce que nous méconnaissons, pour faire de chaque scène, chaque chose, chaque portion d’espace, un objet de méditation.
Il sourd des photographies de l’auteur de 77 / 19 une sorte de familière étrangeté, qui est une douce désorientation, un déséquilibre sans effroi.
La beauté crée une unité des âmes, lorsqu’elle n’est pas frelatée, ou platement sentimentale/conventionnelle.
Le regard d’Yves Glorion pourrait être qualifié de japonais : pureté des formes, attention à la géométrisation des rapports et aux matières, pensée du vide comme principe organisateur.
Ecrin de l’espace, dialogue du ciel et de la terre, des roches et des végétaux, des névés et du soleil.

En de très belles nuances de gris et de profondeurs de noir – livre imprimé par EBS, à Vérone, comme la plupart des ouvrages de chez Filigranes -, le photographe exprime une solitude qui n’est pas un esseulement, plutôt une profondeur d’écoute, d’observation, de finesse perceptive.
Le monde se décline chez lui en vals et chemins de nuages, forêts denses et eaux fraîches, champs cultivés impeccablement ordonnés et landes ventées.
La route nous conduit ici ou là, elle connaît le chemin, nous sommes ses obligés.
Yves Glorion saisit des pans de murs dessinés par la suie, des pontons lissés par les vagues, des routes constellées de cailloux, l’écriture spontanée du vivant.
L’humain apparaît mais le plus souvent de profil, ou masqué, ou de dos.
Des silhouettes, des présences, mais pas de psychologie – à quoi bon cette tromperie ?

La nature est anthropomorphe, tout est visage, entité singulière, pour qui sait contempler le mystère des formes.
Une porte de garage, des buts de football dans une prairie, un pilier de béton, des grilles de fer forgé, tout est musique, rythme, orchestration savante.
La ruine même est une métamorphose, un passage à considérer sans drame dans le vortex du temps.
77 / 19 invite son spectateur à s’égarer en confiance, et à se réjouir très intimement d’être en vie.

Yves Glorion, soixante-dix-sept / dix-neuf, autopublication, 2020 – 500 exemplaires
https://www.facebook.com/yvesglorionphotograph/

©Yves Glorion
Livre notamment disponible à la librairie La pluie d’été (Pont-Croix, Finistère)

©Yves Glorion