
©Alexandre Dupeyron
Dysnomie, au nom si beau frôlant la dystopie, est un astre, satellite naturel de la planète naine Eris, jumelle de Pluton, découverte en 2005, mais la déesse Dysnomia allégorise aussi chez les Grecs anciens l’anomie, le désordre, l’anarchie, certes dans une définition autre que celle de Catherine Malabou (lire Au Voleur ! Anarchisme et philosophie, PUF, 2022) qui en fait le principe même d’un ordre supérieur.
Alexandre Dupeyron a nommé ainsi son livre paru aux éditions sun/sun (Céline Pévrier), ouvrage à la fois très sombre – les pages, bouffantes, non découpées, ont la densité du carbone pur -, et troué de quelques lumières salvatrices.

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Il faut ouvrir le livre à l’horizontale, afin de voir défiler les images, comme dans une séquence narrative onirique.
Où est-on ?
Quelque part entre le romantisme noir de Gérard de Nerval, les expérimentations sciences-fictionnelles de Chris Marker et le polar métaphysique façon Alphaville, de Jean-Luc Godard.
Quelque part entre les nuées et les royaumes aquatiques, entre la glace et le feu, entre le végétal et le minéral.

©Alexandre Dupeyron
Il faut se perdre pour se trouver, s’abîmer pour se réveiller.
Il y a des noyaux d’êtres, des paysages anthropomorphes, des visions acéphales.
L’impression est celle d’un magma originel, ou terminal, et de la menace d’un trou noir capable d’avaler les dernières particules d’énergie.
Dysnomia ne peut être décrit précisément, il faut le rêver, le recréer en soi, c’est une proposition de liberté.

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Envol, vitesse, flou.
Réitération d’images, soleils froids, démence.
La fenêtre d’apparition est celle d’un écran de cinéma intérieur où l’on voit se mouvoir des solitudes, des villes illuminées, des personnages accablés de fatigue.
En sa mégapole de scènes tremblées, Dysnomia évoque l’affairement d’un peuple lilliputien avalé par les reflets d’une démesure architecturale ayant pris son autonomie.
Superpositions, disparition, danse des spectres.

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Tout est coupé, syncopé, et monté par la main d’un Nosferatu féminin.
On danse dans les ténèbres, on se jette du haut d’un building, on est un aigle aux ailes déployées ou rien.
Les corps flottent dans une obscurité amniotique, se dénudent peut-être, font l’amour à la nuit.
Christ n’est pas encore ressuscité, tout est incertain.
Dysnomia prie, s’agenouille sous la pluie, se glisse comme murène entre les algues des pages.
Il faut courir maintenant, se cacher tout au fond d’un gouffre, et attendre, peut-être des millions d’années, que tout se recompose à partir du néant.

Alexandre Dupeyron, Dysnomia, postface François Cheval, photogravure Fausto Urru, sun/sun éditions, 2022, 152 pages – 600 exemplaires

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