
©Martin Parr
Martin Parr entre officiellement à la galerie Clémentine de la Féronnière (Paris), dont on sait l’importance pour la reconnaissance de l’œuvre du photographique ghanéen vivant à Londres James Barnor, et c’est une joie parce qu’on sait qu’il y sera défendu avec toute la rigueur et la scientificité requises.
Publié sous le titre Chew Stoke par RRN Photobooks (Bristol) et Maison CF, A Year in the life of Chew Stoken commandé à l’origine par le magazine Telegraph, est une série couleur du photographe né en 1952 qui aura mis trente ans avant de trouver place parmi la bonne centaine d’ouvrages du maître du regard documentaire à la fois empathique et doucement ironique.
Chew Stoke est un village du comté rural de Somerset, en Angleterre, situé dans la banlieue de Bristol.

©Martin Parr
Un peu moins de mille habitants, une maison publique, une école primaire, un magasin, un bowling, des maisons modestes et coquettes, et c’est à peu près tout.
Mais lorsque l’on a écrit cela, rien n’a été dit des interactions entre les habitants, de la façon dont les lieux sont occupés, des inventions individuelles ou collectives pour en faire un lieu que l’on souhaite investir.
Observant pendant douze mois la vie quotidienne des villageois, le photographe britannique, qui intègrera l’agence Magnum en 2014, n’a pas été qu’un regard extérieur, mais l’un des membres, certes temporaire, comme un jeune dont on sait qu’il quittera bientôt le nid familial, d’une entité géographique où la fréquentation du pub et des fêtes jalonnant l’année aura joué un rôle essentiel dans son intégration.
Chew Stoke est donc un travail en immersion, Martin Parr remarquant en premier lieu la façon dont les couleurs forment comme des points d’extase dans une réalité somme toute banale.

©Martin Parr
Les visages et les gestes, les attitudes corporelles et l’orchestration involontaire des mouvements dans l’espace, font de chaque scène un tableau dont on peut s’enchanter.
Notre vie est blasonnée, sa dimension de cryptogramme ne fait nul doute, mais il nous faut la grâce de l’art pour nous en révéler la puissance comme la dimension de joie.
On aime Martin Parr parce qu’il y a une jubilation discrète à être là, au cœur du spectacle du monde, parmi des semblables ayant tous leur part de singularité et de folie, que l’on prenne un bus scolaire, longe une pelouse impeccablement tondue, ou tienne la porte à une petite mamie faisant ses courses.
Martin Parr, c’est eux, les représentants de la classe ouvrière et de la classe moyenne britanniques, mais c’est aussi nous tenant le taille-haie, ramassant des pommes un jour de pluie ou servant le thé.
Chew Stoke, ce sont des situations et des trognes, le sérieux d’un jeu plein de fantaisie appelé vie.
Nous soignons notre mise, préparons de délicieux gâteaux, revêtons de jolies robes, mais au fond nous savons bien que sans cet effort de présentation tout s’effondrerait, et que l’absurde dans lequel quelquefois nous nous engageons n’est qu’un moment du rire de Dieu.

©Martin Parr
Martin Parr dispose au premier plan des signes (le panneau Flood, des poissons pêchés, une bâche rouge ressemblant à une cape de toréro, une tasse remplie de petites cuillères, des chaussures, une table de salon, un cierge), construisant ses images à partir de ces points appelant le regard que l’on ne pourra oublier quand les yeux se porteront sur les luminaires, les chemises blanches, le sofa rose, ou le prêtre portant un bébé.
Dans le disparate d’un homme assis sur en fauteuil en train de grignoter une tranche de pain de mie, d’un poster montrant un tigre, d’un papier peint vintage, d’une épouse se tenant droite et d’une machine à laver, le photographe voit l’accord, l’unité, la délicieuse harmonie.
Rien n’est moquable, tout est familier, tout est cycle : naissance, enfance, mariage, décès.

©Martin Parr
Tel est le temps en son plein déploiement, semble dire Parr, telle est la roue karmique des sociétés industrielles peu à peu envahies par la publicité et le spectacle – le peuple chez lui garde encore une sorte d’idiosyncrasie -, telle est la façon dont nous habitons l’espace-terre, humblement, bizarrement, pleinement.
Prière, enseignement, goûter, sport, braderie, concours de marmelade, tombola.
Réunion caritative, père Noël, pub, cours de fitness, réception.
Martin Parr ne photographie pas la solitude, mais la capacité à vivre ensemble.
Chew Stoke n’est pas la vision de monades isolées tournant sans fin dans la nuit, comme dans tant de travaux arty, mais la preube que l’on peut s’amuser ensemble, boire ensemble sans délectation morose, partager ensemble quelques instants d’un destin bancal mais commun.

Martin Parr, Chew Stoke, A Year in the life of Chew Stoke Village, textes de Robert Chesshyre et Diane Smyth, direction éditoriale Clémentine de la Féronnière, secrétariat d’édition Sophie Culière et Nathan Magdelain, RRB Photobooks (Bristol) & Maison CF (Paris), 2022
https://www.martinparrfoundation.org/?gclid=EAIaIQobChMIwO3Mu6jJ-gIVVfhRCh2WngDSEAAYASAAEgKv_fD_BwE
https://www.maisoncf.fr/produit/martin-parr-a-year-in-the-life-of-chew-stoke-village