
Antoine ©Rudy Burbant
« Certaines mutuelles ne prennent pas en charge les frais médicaux des lésions causées lors de manifestations. De ce fait, certains mutilés se retrouvent dans une position difficile. Des cagnottes sont mises en place pour leur venir en aide. »
Enucléation.
Perte de la vue.
Mutilations des parties génitales, du visage, des mains.
Contusions pulmonaires et cardiaques.
C’est un livre douloureux, mais nécessaire.

Prothèse myoélectrique ©Rudy Burbant
Il questionne en images et textes la logique de la répression policière en France provoquant parfois des mutilations à vie sur des manifestants, souvent sans agressivité particulière mais placés au mauvais endroit au mauvais moment.
Documentaire photographique, Impact, qui prend le temps de retracer dix histoires de violences policières dans différents contextes de maintien de l’ordre tout en montrant les victimes, est glaçant.
« C’est l’histoire d’un instant de bascule, le moment du choc, mais c’est aussi l’après, informe son auteur, qui vit à Nantes où l’on se rappelle notamment avec effroi des violences ayant eu lieu lors de la fête de la musique de 2019 contre les « teuffeurs » et de la mort par noyade dans la Loire de Steve Maia Caniço. Ce sont des histoires de reconstruction, de combat des corps et des esprits pour réapprendre, parfois se retrouver, souvent se réécrire. Ce sont aussi des histoires de déni, d’invisibilisation et d’inlassables combats judiciaires. »

Vanessa ©Rudy Burbant
Vous vous souvenez peut-être du documentaire du journaliste David Dufresne, Un pays qui se tient sage (2020) sur le même sujet, alors qu’est paru cet automne aux éditions La Fabrique Que fait la police ? et comment s’en passer, de Paul Rocher.
Sur la couverture d’Impact, il y a un simple palet en léger relief. Il évoque l’invention de la roue par les Chinois, grande avancée civilisationnelle.
Mais ici, il s’agit d’un outil de barbarie provenant d’une grenade lacrymogène MP3.
Cette grenade, est-il précisé en fin de volume – où sont recensés, et analysés, les principales armes de répression -, « est propulsée à l’aide d’un lanceur PennArms de la société américaine CTS, qui a la capacité de tirer six coups en l’espace de quatre secondes sur une distance de cinquante à cent mètres. Chaque grenade contient trois palets. Ce sont donc dix-huit palets qui peuvent être lancés en quatre secondes, permettant de saturer l’air de gaz lacrymogène très rapidement. »

Grenade GLI-F4 ©Rudy Burbant
Il y a aussi le flash-ball, lanceur de balles de défense, remplacé progressivement à partir de 2009 par le LBD 40, réputé plus puissant et plus précis. « Arme du même type que le « Baton round », utilisé massivement par l’armée britannique dans le conflit nord-irlandais dans les années 1970-80, explique l’auteur, il fait son apparition en France dès 1995 dans quelques unités spécialisées des forces de l’ordre. A partir de 2005 son usage se répand. Le flash-ball est principalement utilisé par les BAC dans les quartiers populaires, où l’on recense de nombreuses victimes, et par la police nationale et la gendarmerie en situation de maintien de l’ordre. Les polices municipales peuvent également en être équipées. »
Il faudrait tout recopier, il faut savoir, et transmettre, notamment dans les écoles – pas seulement de police.
Que connaît-on des GMD (grenades à main de désencerclement) et de la grenade GLI-F4 ? Pas grand-chose, rien en fait.
Il faut écouter Jean, Patrice, Yann, Vanessa, Casti, Joan, Gwendal, Lola, Antoine et Jérémy, dont le photographe fait le portrait pleine page, tout en montrant de façon clinique des objets symbolisant à la fois le drame et la tentative de reconstruction (une prothèse myoélectrique, un cache-œil, un œil de verre, un casque).
Antoine a perdu sa main droite à vingt-six ans lors d’une marche pour le climat le 8 décembre 2018 à Bordeaux.

Jérémy ©Rudy Burbant
Lola, en prépa d’école d’arts à Bayonne, participant avec une amie à un rassemblement à Biarritz contre l’organisation du G7 l’été suivant, a eu la mâchoire fracturée, atteinte par un tir de LBD qui a raté sa cible.
Jean, sapeur-pompier de Dijon monté à Paris pour défendre sa profession, est victime de la stratégie de la nasse (plus d’issue possible, les gendarmes mobiles et les CRS ayant quadrillé tout l’espace), blessé à l’œil droit par une grenade explosant près de lui et traversant sa visière.
Casti, supporter ultra du Montpellier Hérault Sport Club, perd son œil droit à la suite d’un tir de flash-ball, l’enquête ayant montré que les policiers sont intervenus avant une éventuelle échauffourée.
A Toulouse, Joan, paisible étudiant participant à une action contre la précarité des jeunes, perd lui aussi de la même manière l’œil droit.

Bouchon GMD ©Rudy Burbant
A Rennes, Gwendal, qui est un partisan actif des Gilets Jaunes, est grièvement blessé à l’œil : « Gwendal remonte tranquillement la rue pour rejoindre ses deux compagnons et quitter la manifestation. C’est à cet instant qu’une grenade atterrit à quelques mètres derrière lui et explose. Gwendal s’écroule, hurle, son corps se tord de douleur. Il se souvient qu’il marchait dos aux policiers et qu’il s’est retourné lorsqu’il a entendu le bruit d’un objet tombant au sol derrière lui et a vu cette grenade exploser. »
Vanessa, qui participe à une manifestation des Gilets Jaunes, à Paris, est victime, alors qu’elle marche tranquillement sur le trottoir, d’un tir de LBD, qui « lui brise les os de l’arcade et de l’orbite « comme une coquille d’œuf » et provoque une hémorragie cérébrale. »
Yann, Gilet Jaune, manifestait à Toulouse : « En passant devant lui l’un des policiers profite de ses mains levées pour lui mettre un coup de matraque dans les côtes. Un second policier lui envoie un long jet de « gazette » dans la bouche. Le troisième lui assène un violent coup de matraque en pleine face au niveau de la bouche. » (il perd onze dents)
Patrice a perdu l’usage de l’œil lors de la manifestation des Gilets Jaunes à Paris, le 8 décembre 2018.

Jean ©Rudy Burbant
Il n’est pas facile d’être policier, il n’est pas facile d’être Gilet Jaune, mais la lutte pour la justice sociale ne peut être arrêtée au long terme par la simple répression aveugle, apeurée, et parfois ivre de sa puissance.

Rudy Burbant, Impact, Dix histoires de violences policières, suivi éditorial Anne Zweibaum, maquette, proposition typographique, Laurence Chêné, Editions Loco, 2022, 94 pages
Impact a reçu le prix OPN 2020
Ecoute des témoignages possibles – lien http://www.rudyburbant.fr/impact-audio/#guemas
Dans Que fait la police ? Paul Rocher s’interroge sur la réorganisation autoritaire de notre pays dans sa phase de capitalisme organique, et de la servitude de la police, symbolisant presque toujours la morale conservatrice, envers les plus forts (du moment).
En s’inspirant des exemples sud-africains (Comités de rue) et nord-irlandais (Comités de défense des citoyens ayant l’appui du peuple), où les habitants ont expérimenté des formes de gestion des conflits, indépendants de l’appareil d’Etat, l’économiste, auteur en 2020 de Gazer, mutiler, soumettre. Politique de l’arme non létale, dégage les voies possibles d’un monde sans police.
« ‘La reprise par le peuple et pour le peuple de sa propre vie sociale’ [Karl Marx], exige le dépassement des rapports sociaux existants dans leur totalité. Il s’ensuit que la transformation socio-économique libératrice ne peut être découplée de l’effort conscient de bâtir une nouvelle forme de gestion collective des différends sur un fondement émancipateur à même d’infuser les interactions quotidiennes. »
En attendant, nous assistons à la robocopisation (sic) de la police, à la course à l’armement supposément non létal, et au développement « fulgurant » de la police municipale, comme des entreprises de sécurité privée.
Chers manifestants, chers enfants qui apprenez la lutte, chers nous-tous, bon courage.

Paul Rocher, Que fait la police ? et comment s’en passer, La Fabrique éditions, 2022, 254 pages
https://lafabrique.fr/que-fait-la-police/
Lire aussi – je l’ai chroniqué quelque part – cet ouvrage excellent : https://www.editionsbdl.com/produit/larme-a-loeil-violences-detat-et-militarisation-de-la-police/

