A l’abri de Melancholia, par Gaël Bonnefon, photographe

©Gaël Bonnefon

Aux jours inoubliables, de Gaël Bonnefon, publié par sun/sun (Céline Pévrier), est structuré par le principe de l’image manquante, et même des images manquantes.

Composé de photographies en couleurs (2009-2021) et en noir & et blanc – les images sont issues d’ateliers ayant eu lieu en 2018 avec des enfants habitant dans le Couserans, en Ariège, où vient de partir à son tour en résidence Elie Monferier –, cet ouvrage comportant de nombreuses pages blanches et des cases prévues pour y insérer des clichés, fonctionne à partir de l’oubli comme force de remémoration et de projection.

Comment en effet permettre que quelque chose arrive si au préalable nous n’avons pas de place en nous ?

C’est le sens même des grands départs, des ruptures, des changements d’axes, des virages existentiels.

©Gaël Bonnefon

Il y a toutes les photographies que nous avons prises – beaucoup trop -, et celles que nous regrettons d’avoir manqué, celles qui nous restent en tête, celles que nous inventons à partir d’un rien.

Aux jours inoubliables – ce titre évoque à la fois Jacques Henri Lartigue et les merceries de province -, ne fait pas de remplissage mais agit de façon soustractive.

Le vide est plein, le plein est vide, il faut comprendre la puissance de la parole à partir de sa capacité de retrait, et la force des apparitions en fonction de leur impossible advenue.  

Qu’y avait-il au matin du monde ?

Qui se cachait dans les taillis de l’aurore ?

Qui brûlait de joie sans se consumer, mais en dépensant tout ?

L’infans, l’enfant, l’enfance.

©Gaël Bonnefon

©Gaël Bonnefon

Sur le rouleau de pellicule donné tel quel, montrant parfois les images en diptyques dans la succession quasi immédiate des vues, il y a des montagnes bleues, des étangs verts, des renversements romantiques (Lenz a depuis 1839 la tête à l’envers).

Des phrases s’insinuent en bas des pages, comme des légendes de scènes à jouer : « En arrivant elle descend au couvent, / c’est la deuxième maison aux volets bas et au toit gris. » / « Elle entre sans frapper, la porte est toujours ouverte. C’est le silence qui garde ce lieu. »

Des racines, des branchages, une jungle pyrénéenne.

Un petit garçon ferme les yeux, c’est Gaël Bonnefon, il a sept ans et a ramassé des cailloux pour les assembler en de frêles pyramides blanches.

©Gaël Bonnefon

©Gaël Bonnefon

Les ombres nous bandent les yeux, nous sommes un peuple de mains qui tâtonnons dans l’océan d’un après-midi sans fin, nous allons à l’école dans le froid d’une aube de résurrection.

Les phrases deviennent leçons de chose, ou propositions morales : « Il y a un temps pour tout, / un temps pour toute chose », « Un temps pour se taire / et un temps pour parler. »

Publié à la façon d’un carnet de notes (dos carré cousu entoilé, couverture avec embossage), Aux jours inoubliables possède un parfum de nostalgie doublé d’une élégie très belle envers la fragile beauté de l’éphémère Nature.

C’est un livre à la fois formellement très riche et d’une grande modestie dans les images : il ne s’agit pas d’imposer une vue, un point de vue d’auteur génial et surplombant, mais de danser avec l’absence, de construire un refuge, pour la nuit, pour les cours d’eau, pour les enfants.

©Gaël Bonnefon

On le sait bien, la planète Melancholia se rapproche à vive allure de notre Terre-Mère.

Il faut inventer des abris, les bâtir le mieux possible, et s’y réfugier avec tous ceux qu’on aime.

La nuit même ne sera bientôt plus qu’un souvenir.   

Gaël Bonnefon, Aux jours inoubliables, édition Céline Pévrier, sun/sun, 2022 – 600 exemplaires

http://gaelbonnefon.org/

https://sunsun.fr/writer/gael-bonnefon/

https://www.leslibraires.fr/livre/21682962-gael-bonnefon-aux-jours-inoubliables-francais-bonnefon-gael-sun-sun?affiliate=intervalle

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