Une oasis andalouse, par Lise Gaudaire, photographe

©Lise Gaudaire 

« On développe de la sensibilité quand on a souffert et qu’on partage. » (le père de Lise Gaudaire, paysan)

Oasis est une recherche visuelle menée par l’artiste Lise Gaudaire, pensionnaire de la Casa de Velazquez 2021/2022, sur la vallée de l’Axarguia, située en Andalousie.

Présenté sous un bel emboîtage cartonnée, cet ouvrage publié par Dalpine, maison d’édition fondée en 2010 à Madrid, est sous-titré Je marche dans le lit des rivières. Ses images belles et silencieuses ont été réalisées à la chambre.

Que reste-t-il du savoir paysan quand la monoculture intensive, notamment d’avocatiers, a envahi le territoire et que les sols sont appauvris, ne se maintenant essentiellement en vie que par l’entrée massive de substances chimiques ?

©Lise Gaudaire 

Dans le désert vert qu’a rencontré la photographe, il y a pourtant une oasis incroyable, la serre de Fernando, dont la sagesse est de cultiver des plantes peu consommatrices d’eau.

Lise Gaudaire s’intéresse à la façon dont l’humain habite et invente le paysage, à la manière dont il le dégrade ou le soigne, la photographie n’étant que l’un des moyens dont elle fait preuve pour questionner les lieux qui la fascinent – l’étude est aussi menée à l’aide d’un enregistreur sonore, de carnets de notes, de rencontres, de lectures, de films.

Ses séries prennent donc la forme d’une enquête archéo-poétique doublée de résonnances anthropologiques, pour ne pas dire écosophiques.

« Dans Oasis, précise l’artiste, je cherche à révéler mes propres expériences et projections pour soulever les notions de dépaysement, d’exotisme ou de représentation mentale et fantastique du paysage. Si le mot évoque aujourd’hui un îlot fertile dû à la présence d’eau au milieu d’un vaste désert, on oublie souvent qu’une oasis est artificielle, entièrement créée par l’homme, dont l’attention permanente est nécessaire pour assurer le bon entretien du système d’irrigation : en somme, un paradis artificiel. L’oasis n’est pas qu’une palmeraie ombragée : derrière le cliché, elle pose les questions terriblement contemporaines de l’économie mondialisée et de son impact écologique, de l’agriculture durable et de la consommation d’eau. »

©Lise Gaudaire 

Lise Gaudaire observe des plantes menacées, les dessine, note ses sensations, des faits historiques.

Fernando, qui est le temps des rencontres pour la photographe glaneuse une sorte de père andalous, aime les fruits du dragon : sous sa serre poussent des rangées de pitayas qu’il pollinise à la main.

Les images peuvent paraître neutres, mais elles sont au contraire, dans leur réserve et leur pudeur, d’une vibrante émotion.

En préface, Emilie Flory écrit joliment : « Lise Gaudaire ne fait pas de prosélytisme écoresponsable outrancier [ouf, les militants écologistes sont souvent si effroyablement sérieux], elle regarde les végétaux comme elle examine les visages. Les cadrages se resserrent. Les portraits noir et blanc de Fernando arrivent en écho au voile olivâtre qui enrobe certaines photos ; une palette brune précise et tranchée. »

©Lise Gaudaire 

Il ne s’agit pas de faire la morale et de culpabiliser, mais d’éveiller les consciences, et de se mettre à l’unisson de la fragilité et de la puissance du vivant.

Le cours d’eau est à sec depuis longtemps, tout pourrait prendre feu.

Où peuvent donc se cacher les dieux dans ces espaces asséchés, terreux, caillouteux ?

Lise Gaudaire photographie à l’extrémité du jour, la nuit prendra bientôt possession des lieux, ou le jour aveuglant.

Un homme en noir et blanc ferme les yeux, voyant peut-être sali, souillé, dégradé, le livre ouvert de la création que lui ont légué ses aînés.   

Il y a du chamanisme spontané dans l’air, mais le plus discret du monde : le cadre de vision est moins dénonciation que protection, accueil du divers dans toute sa délicatesse, et mise en relation entre les ordres naturels.  

Le vivant s’insinue entre les roches. Dans la métamorphose du simple repose tout le génie de la nature.

©Lise Gaudaire 

Les palmiers et les ifs forment les sentinelles végétales d’un royaume abîmé, morcelé, parsemé d’orthèses (voir le livre éponyme de Guillaume Bonnel publié en 2017 chez Arp2 Publishing) et de bâtiments sans qualité.

Sans drame, lentement, délicatement, Oasis propose la traversée d’un paysage contemporain, nourricier et maléficié.

Lise Gaudaire, Oasis, Je marche dans le lit des rivières, textes Lise Gaudaire et Emilie Flory, design graphique Jaime Narvaez, Dalpine (Madrid), 2022

https://www.dalpine.com/products/oasis-lise-gaudaire

©Lise Gaudaire 

https://lisegaudaire.com/Oasis-Je-marche-dans-le-lit-des-rivieres

Travaux menés lors d’une résidence à la Casa de Velázquez 2021/2022

©Lise Gaudaire 

Artiste soutenue par l’Institut Français, la ville de Rennes, Rennes Métropole, les Champs Libres et les Ateliers du Vent

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