Céline, avec ou sans pinces à linge, par Jean-Pierre Thibaudat, écrivain, journaliste

« La nuit dans le lit – il dormait assis, allongé il ne pouvait pas – il me disait : « Ecris ! » J’avais toujours un petit carnet à côté de moi. Comme il ne dormait pas, ou très mal, il ressassait. Il pouvait buter toute une journée sur une phrase. C’était comme de la musique. Très rythmée. Il prenait beaucoup de Gardénal mais il se levait à 6h du matin, travaillait aussitôt qu’il en avait la force. Il luttait contre les migraines, le palu, la dysenterie, il avait le corps chaviré. De partout. Sans excès pourtant, il ne fumait pas, ne buvait pas, mangeait presque rien. On ne déjeunait pas, on ne dînait pas. Il s’en fichait. » (Lucette Destouches interviewée en 1992 par Jean-Pierre Thibaudat, à propos de Louis-Ferdinand Céline)

L’affaire est rocambolesque, la presse en a beaucoup parlé, a enquêté, n’a pas trouvé grand-chose.

Il fallait que la vérité éclate proprement, plutôt qu’elle n’explose avec pertes et fracas.

Journaliste à Libération de 1978 à 2006, l’écrivain et critique de théâtre Jean-Pierre Thibaudat, détenteur d’une malle comportant un mètre cube d’inédits de Louis-Ferdinand Céline, a donc écrit aux éditions Allia un livre de révélation se lisant comme un roman.

Céline l’éternel victimaire s’est plaint toute la dernière partie de sa vie qu’on lui avait volé les manuscrits laissés dans son appartement de la rue Girardon à Montmartre, réquisitionné par les résistants français lors de sa fuite en Allemagne, puis au Danemark où il fut emprisonné, sauvant ainsi probablement sa tête.

Dans les années 1980, Jean-Pierre Thibaudat est contacté par un mystérieux personnage afin que lui soit remis l’un des plus fabuleux trésors littéraires français du siècle : des milliers de feuillets jaunis, raturés, travaillés, des manuscrits inconnus reliés par des pinces à linge, des centaines de pages de Mort à crédit, des ajouts au Voyage, une nouvelle de jeunesse, un ensemble de séquences inédites de Casse-pipe, quatre dessins de Gen Paul, le double d’une correspondance avec Robert Brasillach (fusillé à la Libération), un « dossier juif »…

Une condition avait été posée, qui fut respectée : ne rendre publics ces documents qu’après la mort de la veuve de Céline (reprendre peut-être mon article cultissime, je ne sais trop pourquoi, il a été lu des milliers de fois, du 6 février 2017, Champagne et homard pour Lucette Destouches), qui intervint… à 107 ans le 8 novembre 2019 à Meudon, par crainte qu’elle ne fasse disparaître quelques-uns des documents rappelant l’antisémitisme forcené de son mari.   

En août 2021, les documents sont révélés, créant un retentissement littéraire mondial, sans que l’identité du dépositaire ne soit levée.

Il est temps désormais, a pensé Jean-Pierre Thibaudat, de retracer toute l’affaire et de donner le nom  de l’énigmatique messie (que je tairais, il vaut mieux lire son ouvrage), en rompant un silence de plus de trente ans.

L’entreprise de classement et de déchiffrement fut titanesque, surtout effectuée pendant les vacances d’été du journaliste conscient de la grandeur de sa tâche, mais hanté par la possibilité, un jour, d’une dispersion de cet ensemble si précieux pour l’histoire littéraire.

Confier le tout à l’IMEC ou à la BnF ? Maître Pierrat, alors ami de l’avocat de Céline, Maître Gibault, est contacté.

Se présente alors au rendez-vous organisé pour évoquer cette possibilité la cohéritière de Lucette Destouches, Véronique Chovin, dont Jean-Pierre Thibaudaut fait un tableau peu amène.

Quelques mois plus tard, une plainte est déposée pour recel (Jean-Pierre Thibaudat) et complicité de recel (Maître Pierrat).

Face aux policiers cherchant à savoir de qui proviennent les documents, le journaliste oppose cette réponse imparable, protégeant l’honneur de sa profession : « Secret des sources », et l’avocat : « Secret professionnel » – tous deux furent relaxés en juillet 2021, et les manuscrits remis aux héritiers. 

A qui appartiennent les écrits ressuscités de Céline ? A ses ayants droits ? Non, répond Thibaudat, à l’histoire littéraire, et il faut à tout prix les préserver de toute forme de prédation financière.

Le 6 août 2021, Le Monde dévoile par un article de Jean-Pierre Dupuis l’existence de cet inestimable legs.

On cherche à savoir qui est le dépositaire, des noms circulent, Oscar Rosembly, le coupable idéal, personnage insituable plutôt roublard, les parents du journaliste, d’autres encore.

Mais, au fait, de qui s’agit-il ?

Guerre a été publié par Gallimard en avril 2022, et Londres, en octobre de la même année.

Il y a aura les mois et années à venir quantités d’autres surprises, Céline l’antisémite est un génie littéraire rentable, exaltant, et clivant.

Jean-Pierre Thibaudat, Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé, Allia, 2022, 128 pages

https://www.editions-allia.com/fr/livre/949/louis-ferdinand-celine-le-tresor-retrouve

https://www.leslibraires.fr/livre/21610805-louis-ferdinand-celine-le-tresor-retrouve-jean-pierre-thibaudat-editions-allia?affiliate=intervalle

Laisser un commentaire