
« Nina Simone s’est assise derrière le Steinway. Elle a mis sa main devant sa bouche, a ôté son chewing-gum et l’a collé sur le piano. Puis elle a levé les bras au-dessus de sa tête et, dans un silence sidéral, a entamé ce qui allait devenir le meilleur concert de ma vie – de nos vies -, une performance sauvage et transcendante, la toute dernière qu’elle livrerait à Londres. A la fin l’extase était mutuelle. Nina semblait une autre personne en quittant la scène – revigorée, ravivée, transfigurée -, comme nous tous, qui n’étions et ne serions plus les mêmes. Plus jamais. Au moment de partir, je me suis retourné et j’ai vu Warren monter sur scène, l’air possédé, pour foncer vers le Steinway. » (Nick Cave)
J’ai ce livre sur mon canapé depuis octobre.
Je le feuillette régulièrement, en lis des passages, regarde ses illustrations.
Je sais qu’il est excellent, mais je ne veux pas rater le moment de sa lecture, arriver en décalage au festin, ou au concert.
Le chewing-gum de Nina Simone est un livre de Warren Ellis sur son idole, qui le 1er juillet 1999 donna un concert exceptionnel au Meltdown Festival (Londres) que programmait Nick Cave, son complice de scène.
A l’issue du spectacle, le très inspiré multi-instrumentiste australien décolla le chewing-gum resté sur le piano de Nina Simone, objet montré sous vitrine vingt ans plus tard dans l’exposition Nick Cave « Stranger thant Kindness » ayant lieu à Copenhague.
Est-ce un livre fétichiste ? Peut-être bien. Offrez une pâte à mâcher à la blonde Belle de jour.
Craignant que le chewing-gum ne se détériore, Ellis en fait réaliser des moulages en argent et en or, questionnant ainsi son rapport aux objets trouvés, conservés dans un carton au fil du temps.
Qui a vu l’émouvant et très beau documentaire 20 000 jours sur Terre, réalisé par Iain Forsyth et Jane Pollard (2004), film consacré à 24h de la vie de Nick Cave, a pu se rendre compte de la beauté, de la liberté et de la présence folle de Warren Ellis.
Comme un dieu celte, comme une colonne de feu calme, comme un intermédiaire entre les vivants et les morts.
Un enfant de quatre ans voit des clowns envahir dans son jardin.
Il y a des esprits un peu partout, encore visibles pour les jeunes cœurs, puis ils disparaissent.
Le violon qu’apprend ele petit Warren à l’âge de douze ans saura-t-il les faire revenir ?
Que gardez-vous précieusement dans votre boite à secret ?
Livre de nature autobiographique, Le chewing-gum de Nina Simone mêle à la fois des notations sur la vie de la star américaine – qui vécut au Liberia, en Suisse, en Angleterre, à la Barbade et dans le sud de la France -, et des réflexions sur l’art, la musique, le hasard, la nécessité poétique.
Nina arriva en limousine et en fauteuil roulant à Londres, mais après son concert elle semblait comme libérée d’elle-même.
Un gramme de coke, une bouteille de Moët & Chandon et des saucisses bien cuites pour Madame Simone, s’il vous plaît.
Le découvreur de talent et producteur Michael Alago se souvient du festival de 1999 : « Nina a crié : « Tout le monde dehors, sauf Michael ! » et on s’est retrouvés seuls. « Mon chou, m’a-t-elle dit, je sais que tu es gay, mais je crois que c’est le moment de prendre un bain moussant ! » L’instant d’après, elle était entièrement nue, moi en boxer, et on faisait trempette dans une baignoire pleine de mousse à siroter du champagne et à rigoler comme deux ados. C’est cette image que je garderai d’elle. »
Docteur Simone (sic) n’était pas facile, sûrement assez tyrannique, mais elle était géniale.
A quoi bon l’art si ce n’est pour renaître, comme Nick Cave à Melbourne en 2017 (tournée Skeleton Tree) après la mort de son fils Arthur en 2015 ?
Sur scène, Nina Simone lève le poing, femme merveilleuse.
Quand elle est morte le 21 avril 2003, ses cendres ont été dispersées dans plusieurs pays.
Arrive de son ashram Alice Coltrane, autre apparition.
Nos vies sont jalonnées de signes, n’est-ce pas ?
« Le chewing-gum de Nina Simone semblait avoir sa vie propre. C’était comme s’il ne m’appartenait pas. Son rayonnement me paraissait plus vaste. Je le sentais s’étendre autour de lui, ce petit objet investi d’une histoire immense, telle une tornade en puissance. »
On peut vraiment écrire tout un livre sur un chewing-gum ? Mais, oui, et même toute une bibliothèque.
« Nos actes, écrit Warren Ellis, proche ici de Patti Smith, ont des conséquences, qu’elles se produisent sur le moment ou des années plus tard. De notre vivant ou au-delà. De minuscules charges de profondeur qui explosent à des kilomètres sous la surface de la mer. On voit se former des ridules qui s’élargissent et ondulent, relient des continents. »
Lorsqu’ un acte est accompli comme si notre vie en dépendait, ses résonances sont infinies.
« Je suis allé voir mon ami James Thierrée à Paris pour discuter d’un projet théâtral et je lui ai parlé de mon livre. Il a souri et m’a dit : « Tu veux que je te montre mon objet le plus précieux ? » Il est revenu avec une vieille corbeille à papier en osier très abîmée. Il m’a expliqué qu’à la mort de son grand-père, Charlie Chaplin, on lui avait demandé s’il souhaitait récupérer certains de ses effets personnels. Il avait déjà hérité de son violon, qu’il avait offert à un musée en Suisse. Il avait répondu qu’il aimerait avoir sa corbeille à papier. Il était sensible à l’idée qu’elle ait contenu tous les brouillons de projets que Chaplin n’avait pu concrétiser. James y jette désormais les siens et rêve d’en ressortir des idées écartées par son grand-père. »

Warren Ellis, Le chewing-gum de Nina Simone, traduit de l’anglais par Nathalie Perrony, La Table Ronde/Quai Voltaire, 2022, 224 pages – 100 illustrations
https://www.editionslatableronde.fr/Auteurs/ellis-warren
En 2021, Warren Ellis a cofondé Ellis Park, un sanctuaire pour animaux en difficulté sur l’île de Sumatra
