Les annonciations voilées de Maura Sullivan, photographe

©Maura Sullivan

J’ai dit dans un article récent sur After Beauty, son deuxième livre édité aux Pays-Bas par 1605 Publishers, à quel point le regard de la photographe new-yorkaise Maura Sullivan me touche. 

Il me fallait aller plus loin, la découvrir encore.

Voici à présent Things we remember, son ouvrage inaugural, publié en Norvège par Skeleton Key Press.

©Maura Sullivan

Je ne me relis pas, j’essaie d’avancer, je reformule, je précise, je dévie.

De nouveau je m’exalte et me pâme.

Je ne veux essentiellement aller que vers des œuvres augmentant ma puissance d’être, par une joie, qui à la façon qu’a décrite Spinoza, intensifie l’existence.

©Maura Sullivan

La vibration générale, que l’image soit nette ou plus fantomale, est de nature romantique, c’est-à-dire de tremblement et d’audace à l’instant où naît le sublime.

Au moyen du noir et blanc argentique, Maura Sullivan installe une atmosphère composée de visions se déployant aux marges du surréalisme.

Il y a comme une inquiétante étrangeté, ce que Freud nommait Das Unheimliche, donnant à chaque scène, à chaque situation, à chaque portrait, une impression de rêve énigmatique.    

©Maura Sullivan

Il y a des superpositions de vues échangeant leurs grains d’argent, des souliers faisant penser à des chaussures de brocante, et des petites filles dont on se demande si elles sont des poupées ou des êtres de chair.

Assiste-t-on à une danse de spectres à la façon de James Ensor, à un dérèglement de l’ordre du monde, ou simplement à une intégration dans le champ du visible de ce que nous méconnaissons le plus souvent, le double en soi, ou la cohorte des personnalités diverses s’agitant en nous ?

Chaque photographie pourrait donner lieu à une analyse détaillée, tant la composition est riche, le lyrisme de Maura Sullivan conduisant à l’introspection et aux associations les plus libres.

©Maura Sullivan

Il y a des arabesques, quelque chose du grand style européen de la fin du XIXème siècle, et des collants noirs qu’aurait pu dessiner Victor Horta.

Le désir circule, les corps alanguis se déplient, la peau de lumière devient le miroir de l’âme du regardeur épris.

Le peigne aux dents de fer (image de droite) entre en correspondance avec la colonne vertébrale d’une femme se penchant contre l’appui haut d’un fauteuil Voltaire (image de gauche).

©Maura Sullivan

Il est l’heure de se métamorphoser.

La robe blanche de la vestale se promenant dans un intérieur victorien renaît en parure de séductrice, ou oiseau déployant de grandes ailes noires.

Que voit le petit garçon contemplant son visage ?

©Maura Sullivan

Les photographies de Maura Sullivan – comme en France celles de Sara Imloul – jettent un doute sur l’identité, troublent la perception, font exploser le consensus familial doucereux en offrant le sentiment de communiquer directement avec la cruauté et la fantaisie de l’inconscient.

Pointent des détails – la ligne effilée d’un bas, presque aiguisée, un coupe-papier organique prolongeant le doigt -, faisant basculer le premier livre de l’artiste américaine du côté du conte noir et de la menace.

©Maura Sullivan

Jeanne d’Arc a perdu la tête, une ville pousse au sommet d’un crâne, la baignoire en fer blanc est une barque funéraire.

Maura Sullivan construit des annonciations voilées peuplées de saintes en lévitation et de pleureuses discrètes.

La récurrence des souliers pointus et l’attention portée aux robes comme aux chevelures indique un chemin de sens menant de la petite fille à la femme intense, et du petit garçon à l’homme courbé, en questionnant la réalité de toute présence et de toute forme, dans un ensemble en perpétuelle mutation.  

Maura Sullivan, Things we remember, foreword by May Kuckro, desing Russell Joslin, Skeleton Key Press / Russel Joslin Publisher (Norvège), 2021, 96 pages

https://www.maurasullivan.com/

https://www.skeletonkeypress.com/

©Maura Sullivan

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