©Cyril Burget

La question de la mémoire des oubliés est au cœur de Disparitions, livre publié avec un grand soin par les Editions d’une rive à l’autre, créées en 2019 autour de la thématique photographie et sciences.

Evoquant de façon très subtile par le procédé d’impression sans chimie sur algues le drame des disparus sous la dictature chilienne – le gouvernement du président Salvador Allende, démocratiquement élu, fut renversé par coup d’Etat ayant l’appui de la CIA le 11 septembre 1973 -, Cyril Burget accomplit un important travail, photosensible, sur la violence politique et la destruction des corps.

Ici, les assassinés, que les sbires du général Pinochet jetaient depuis des hélicoptères dans le désert d’Atacama ou dans l’océan, reprennent vie, mais d’une façon très fragile, spectrale.

« On estime, écrit le photographe, que 400 à 500 personnes ont été jetées en mer, attachées souvent encore en vie à des rails de chemin de fer. Je visionne le dernier film de Patricio Guzman, Le Bouton de nacre, reconstituant cette histoire. On y voit un plongeur localisant, au milieu de grandes algues brunes, un morceau de rail en fer ayant servi à jeter des corps ligotés. »

Dans le flottement des algues imprimées sur fond blanc se lèvent de façon troublée, et troublante, des hommes et femmes dont on n’a jamais retrouvé le corps.

©Cyril Burget

En fin d’ouvrage, avec un infini respect, leur chemin biographique est retracé, jusqu’à la date de leur disparition.

Leur prénom est donné d’abord sans le nom, comme on le ferait de camarades de combat, de frères, d’enfants – Alejandro, Gonzalo, José, Julio, Manuel, Mario, Marta.

Les despotes ont voulu l’effacement des visages, mais les revoici depuis l’abîme, perforant la conscience, la dérangeant peut-être lorsque l’on est bourreau, ou complice de l’infâmie.

Les martyrisés, dont nombre de militants communistes emprisonnés dans le secret et torturés, ne seront pas oubliés, telle est l’éthique de Disparitions, qui indique le passage, le seuil tremblant, la métamorphose.

« En pratique, poursuit le photographe, peintre et plasticien, le résultat des impressions « phycotypes » [voir aussi Pan, livre récent de Patrice Dion publié chez Light Motiv Editions, où la technique de l’impression sur feuilles d’arbres est utilisée] a également  réalisées à partir des images que les familles ont choisies est aléatoire. Les portrait des disparus sont altérés par la réaction produite entre l’algue et le support, mais aussi par les conditions de luminosité. L’exposition au soleil produit des effets non voulus, parfois doux, parfois graves. Dans les deux cas, l’impression traduit un processus : une image éphémère qui se transforme et s’évanouit doucement, laissant le souvenir de cette disparition. »

©Cyril Burget

Dans le texte accompagnant le livre intitulé La disparition forcée : autopsie d’un crime contre l’humanité, la sociologue Martine Déotte analyse le drame des disparus politiques chiliens, d’Argentine et d’Amérique latine, ainsi que celui des réfugiés morts en mer Méditerranée.  

« La technique de la disparition, écrit l’auteure de Des corps subalternes (2012), ne s’attaque pas seulement à la vie d’un ennemi supposé, elle lui ôte même sa mort, la dissout et la pulvérise. Elle cherche à effacer l’existence des individus, les victimes ne sont jamais nées, aux proches d’apporter des preuves que les séquestrés ont bien existé. »

On peut penser ici au formidable travail de Rithy Panh sur la mémoire du génocide cambodgien, comme aux écrits de Michèle Audin et de Nicole Loraux (sur le deuil), cités dans la bibliographie.

Disparitions participe par l’intelligence de son propos, son émotion authentique sans pathos et sa grâce formelle à une entreprise appelée, partout où l’on a été enlevé avant qu’être massacré, Justice et Vérité.

Cyril Burget, Disparations, texte Martine Déotte, conception graphique Line Célo, Editions d’une rive à l’autre, 2023, 64 pages

https://www.editionsdunerivealautre.com/produit/disparitions/

https://www.leslibraires.fr/livre/22313045-disparitions-cyril-burget-rive-autre