Un dandy dans le Berry, par Frédéric Berthet, écrivain

 

Maison près d’Orléans, 1830, Jean-Baptiste Camille Corot

« J’ai, à Paris, deux amis écrivains de mon âge qui gagnent entièrement leur vie grâce à ce qu’ils écrivent. Ce qui paraît évident, irait-on supposer qu’un plombier gagne la sienne en disputant des tournois de tennis, ou inversement, mais il paraît que, dans le cas précis des écrivains, il est communément admis qu’un écrivain, ça gagne sa vie n’importe comment, en faisant n’importe quoi, sauf en écrivant. Dans l’immense majorité des cas, et même plus. »

Lorsque ça ne va pas, ou moins bien, et que le soleil noir s’est posé sur moi telle une pieuvre de manga, je retourne à mes fondamentaux, par exemple Frédéric Berthet dont le style alerte allège.

Dans la collection La Petite Vermillon, à La Table Ronde, sont réédités Paris-Berry et Felicidad, qu’on peut lire en marchant, comme si l’on était Jean-Pierre Marielle flânant, un livre sous le bras, dans une ville de province un soir d’été.

En lisant-écoutant Frédéric Berthet, j’entends Pierre Bourgeade, Jean-Jacques Schuhl, Paul Morand, Francis Scott Fitzgerald, Jean-Patrick Manchette. 

Vitesse, impertinence, fausse désinvolture.

Jolie fille, voiture de marque, cigarette.

Traits d’esprit, auto-ironie, don de l’observation.

Pour enfin écrire le livre qui le taraude depuis longtemps, un écrivain décide de se mettre au vert, et de s’installer dans le Berry, autant dire nulle part lorsque l’on est un Parisien.

« Avant de me retrouver ici, j’allais, l’année dernière, en Sologne. Drôle d’endroit. Comme une réserve sans Indiens. Je déconseille. »

Composé de brefs chapitres, qui sont des choses vues, Paris-Berry se parcourt comme on boit des tasses de café sous un grand tilleul.

Pas de drame, de l’humour, de l’absurde.

« Je n’ai rencontré qu’une fois Antoine Blondin : c’était un an après sa mort. Cette nuit-là, je suis revenu à Lyon (où j’ai passé une partie de mon enfance et de mon adolescence) dans le but d’acheter une maison de passe. Pas un abattoir : un bordel cossu, discret, de bon goût, joliment meublé, vers les quais de Saône, dans la vieille ville. »

Tiens, je pense maintenant à Bernard Lamarche-Vadel, Frédéric Berthet fait venir les fantômes.

« L’autre matin, tombant nez à nez en face d’une énorme araignée, j’ai cru avoir trouvé ce qui me faisait peur chez les insectes : l’envie irrésistible que j’ai de les tuer. Le type même de raisonnement nazi. »

Le silence de la campagne est propice aux souvenirs, Philippe Sollers au bar du Pont Royal, Francis Bacon accompagné de deux amis : « Il portait un blouson fatigué de cuir marron clair, parlait très peu, opinait légèrement de la tête dans la direction de chaque interlocuteur, avec une rare économie de mouvement, et de parole. »

Les historiettes se succèdent, il faut passer le temps, et balancer parfois quelques méchancetés.

« Si certains écrivains vont dans des endroits comme le Berry en hiver pour écrire un roman, c’est parce que, s’ils n’en écrivaient pas, ils n’y resteraient pas une seconde de plus. »

L’esprit est très français, Frédéric Berthet possède l’art de la pointe.

« Ce qu’il y a de bien, avec les femmes dont on n’a pas été follement amoureux, et qui du coup ont apprécié l’aventure, pour une fois qu’un type ne voulait pas se flinguer à cause d’elles (voire, les flinguer, elles), c’est qu’elles vous restent, d’une certaine façon, fidèles, et vous aussi, en quelque sorte. Elles passent un jour chez vous, et vous les accueillez comme si c’était hier. Au moment de coucher avec elles, vous renâclez, vous vous excusez : ce serait, c’est presque incestueux. Elles rient, et vous aussi. Au fond, l’inceste, ce n’est pas si mal. »

Imaginez-vous la rencontre de Françoise Sagan et de Philippe Roth dans une bibliothèque berrichonne dirigée par quelque Frédéric Beigbeder exilé du Pays basque ?  

Felicidad est un recueil de nouvelles portant le nom d’une femme mystérieuse dont le narrateur s’est épris.

Il y est question, souvent sur un ton badin, d’un revenant (Un père), de travail littéraire (L’écrivain), d’amour ( ?) (Un point de vue divin, Felicidad), d’un jeune héritier (Pas là)…

Les dialogues virevoltent, la conversation chez Berthet est un défi souple.

« Quand on demandait à Malraux quel livre il emprunterait dans une île déserte, il répondait : le chat. »

Frédéric Berthet, Paris-Berry, collection La Petite Vermillon, La Table Ronde, 2023, 112 pages

Frédéric Berthet, Felicidad, collection La Petite Vermillon, La Table Ronde, 2O23, 170 pages

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