Femmes brûlantes, par Hélène Cixous, écrivain

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Méduse, 1917, Egon Schiele

« Je parlerai de l’écriture féminine : de ce qu’elle fera. Il faut que la femme s’écrive : que la femme écrive de la femme et fasse venir les femmes à l’écriture, dont elles ont été éloignées aussi violemment qu’elles l’ont été de leurs corps ; pour les mêmes raisons, pour la même loi, dans le même but mortel. Il faut que la femme se mette au texte – comme au monde, et à l’histoire -, de son propre mouvement. »

L’histoire du féminisme est ponctué de textes fondateurs (Awa Thiam pour les femmes africaines, Kamala Das pour les Indiennes), propositions percutantes (Michèle Causse et la réinvention de la langue française), concepts ayant fait florès (Diana Russell et le terme de féminicide).

La réédition par les éditions Gallimard du manifeste de la romancière et philosophe Hélène Cixous, Le rire de la Méduse (1975), est ainsi un jalon important, quoique plutôt méconnu, dans l’élaboration et la défense d’une écriture féminine.

Y a-t-il une femme-sujet universelle ?

Ou plutôt, combien de temps par jour est-on femme, ou homme, ou neutre ?

Quel est le point de vue sur un tel comptage de la homme et de le femme ?

Baubo exhiba sa vulve pour faire rire Déméter, ne se consolant pas de la disparition de sa fille Perséphone, Hélène Cixous soulève quant à elle les jupes de la langue pour enchanter lale lecteur en un texte salutaire, excessif, génial.

Les femmes auraient-elles d’abord en commun des millénaires de répression de leurs pouvoirs, notamment sexuels ?

« On ne peut parler d’une sexualité féminine, uniforme, homogène, à parcours codable, pas plus que d’un inconscient semblable. L’imaginaire des femmes est inépuisable, comme la musique, la peinture, l’écriture : leurs coulées de fantasmes sont inouïes. J’ai plus d’une fois été émerveillée par ce qu’une femme me décrivait d’un monde sien qu’elle hantait secrètement depuis sa petite enfance. Monde de recherche, d’élaboration d’un savoir, à partir d’une expérimentation systématique des fonctionnements du corps, d’une interrogation précise et passionnée de son érogénéité. Cette pratique, d’une richesse inventive extraordinaire, en particulier de la masturbation, se prolonge ou s’accompagne d’une production de formes, d’une véritable activité esthétique, chaque temps de jouissance inscrivant une vision sonore, une composition, une chose belle. »

Partir du corps, en explorer les potentialités, déborder de désirs, « exploser de torrents lumineux ».

Secouer « la grande poigne parentale-conjugale-phallogocentrique », ne plus avoir honte, chanter, par la jouissance, et l’écriture.

Devenir la femme-révolution (une note précise que les hommes eux aussi ont encore tout à écrire, déconstruire, interroger de leurs coordonnées sexuelles : virilisme obligatoire et opposition factice activité/passivité).  

Avec Hélène Cixous, les sorcières, « arrivantes de partout » – la prose rimbaldienne comme le lyrisme césairien innervent le manifeste – ont la parole.

Se décoloniser, retirer le bâillon, affirmer son droit au bonheur.

« Je soutiens, sans équivoque, qu’il y a des écritures marquées ; que l’écriture a été jusqu’à présent, de façon beaucoup plus étendue, répressive, qu’on le soupçonne et qu’on l’avoue, gérée par une économie libidinale et culturelle – donc politique, typiquement masculine -, un lieu où s’est reproduit plus ou moins consciemment, et de façon redoutable car souvent occulté, ou paré des charmes mystifiants de la fiction, le refoulement de la femme ; un lieu qui a charrié grossièrement tous les signes de l’opposition sexuelle (et non de la différence) et où la femme n’a jamais eu sa parole, cela étant d’autant plus grave et impardonnable que justement l’écriture est la possibilité même du changement, l’espace d’où peut s’élancer une pensée subversive, le mouvement avant-coureur d’une transformation des structures sociales et culturelles. »

Je cite abondamment, car la phrase cixoussienne est éblouissante : phrase-pensée d’une rescapée ayant renouvelé son corps au contact des ressources de l’inconscient, de la poésie, de la philosophie et de l’amitié (Jacques Derrida).

« Qu’ils tremblent les prêtres, on va leur montrer nos sextes ! »

Voici la femme déverrouillée, combattante, faisant une entrée fracassante dans l’Histoire, soignant ses coups, marquant de son cri l’espace d’écoute, faisant de sa libido un remaniement politique général, créant d’abord le désordre afin de tout réordonner.

« Il suffit qu’on regarde la Méduse en face pour la voir ; et elle n’est pas mortelle. Elle est belle et elle rit. »

La syntaxe est emportée, c’est à la femme désormais de voler le feu, et de nous enseigner.

« S’il y a un « propre » de la femme, c’est paradoxalement sa capacité de se dé-proprier sans calcul : corps sans fin, sans « bout », sans « parties » principales, si elle est un tout, c’est un tout composé de parties qui sont des touts, non pas de simples objets partiels, mais ensemble mouvant et changeant, illimité cosmos qu’Eros parcourt sans repos, immense espace astral non organisé autour d’un soleil plus-astre que les autres. »

La femme-sans-repos.

La femme-nouvel-amour.

La femme-hétérogène.

Et ceci, qui ravit : « Nous n’avancerons plus à reculons ; nous n’allons pas refouler quelque chose d’aussi simple que l’envie de vie. Pulsion orale, pulsion anale, pulsion vocale, toutes les pulsions sont nos bonnes forces, et parmi elles la pulsion de gestation – tout comme l’envie d’écrire : une envie de se vivre dedans, une envie du ventre, de la langue, du sang. »

Hélène Cixous, Le rire de la Méduse, Manifeste de 1975, Gallimard, 2024, 60 pages

https://www.gallimard.fr/Contributeurs/Helene-Cixous

https://www.leslibraires.fr/livre/23423530-le-rire-de-la-meduse-manifeste-de-1975-helene-cixous-gallimard?affiliate=intervalle

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