
©Jean-Claude Gautrand
« Le Paris de Haussmann a été massacré, Marville l’a sauvé. Les moulins de Montmartre ont disparu, Bayard les a sauvés. Peut-être Baltard après son assassinat inconscient survivra-t-il plus tard grâce à quelques-unes de ces images. Images moins neutres qu’il n’y paraît : plus atroce que la mort, c’est l’agonie des choses qu’elles racontent. » (Jean-Claude Gautrand)
Il y a chez Jean-Claude Gautrand (1932-2019), figure à la fois discrète et centrale de la photographie française, une obsession de la mémoire doublée d’une conscience aiguë du travail des formes.
Très impressionné à vingt-quatre ans par l’œuvre du photographe allemand Otto Steinert, chef de file du courant de la Subjektive Fotografie, cet enfant du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est parvenu sa vie durant à articuler sens de la transmission et autonomie des objets, surtout architecturaux.
Le temps est une morsure, une dégradation, une avanie, mais le temps peut être fixé, voilà la photographie.

©Jean-Claude Gautrand
Jean-Claude Gautrand a documenté la métamorphose de Paris, notamment le saccage des halles de Baltard (livre de 1972), regardant aussi avec attention les blocs de béton chus du Mur de l’Atlantique (Forteresse du dérisoire, 1977).
Tout est chez lui à la fois fortement structuré, et menacé de disparition, parfaitement rigoureux, jusqu’au vertige des lignes s’entrecroisant comme dans un gigantesque système racinaire aérien, et d’une inquiétante étrangeté somptueuse.
Il y a certes le désastre patrimonial observé par un promeneur attentif aux masses, aux volumes, aux organisations géométriques, mais aussi la beauté quasi surréaliste des lignes, des assemblages, des glyphes à l’ordonnancement musical, comme si tout était inscrit dans une vaste partition à déchiffrer.
L’art est à cette mesure de mystère et d’élucidation, entre grandes orgues de fer (livre Métalopolis, 1964) et tourbillons de poussières.

©Jean-Claude Gautrand
On ressent la présence de Fritz Lang et de l’expressionnisme allemand, une épouvante calme librement exposée, une influence aussi du formalisme de l’avant-garde russe (Vertov, Dovjenko).
Rythmologie.
Incongruités, drôleries, absurde, vortex psychiques.
Barbelés et anthropomorphisme.
Alvéoles, territoires confiés à Arachnida, Tausend Augen.
L’espace regarde le photographe, encore plus qu’il ne le contemple peut-être : l’étrange, l’étranger, c’est lui, qui révèle l’intimité des structures du vivant.

©Jean-Claude Gautrand
Le minéral, le végétal, la chair humaine (très beaux nus) conversent harmonieusement, mais aussi la ruine et les ciels, les mégalithes et les colonnes vertébrales soyeuses.
S’il parvient à saisir la façon dont s’ordonnent les constructions humaines ou naturelles, Jean-Claude Gautrand est aussi un très grand sensualiste.

Jean-Claude Gautrand, Recompositions, textes Jean-Claude Gautrand et Hervé Le Goff, conception graphique et mise en page Coline Olsina et Claude Nori, Editions Contrejour, 2024, 104 pages
https://www.editions-contrejour.com/project/recompositions/
Expositions Jean-Claude Gautrand :
- A la Galerie Les Douches (Paris), du 29 mai au 31 juillet 2024 https://www.lesdoucheslagalerie.com/artists/3738-jean-claude-gautrand/
- Au Musée Réattu pendant les Rencontres d’Arles, du 1er juillet au 29 septembre 2024 https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/1572/jean-claude-gautrand