
Daniel Darc, photographie Jeff Pachoud
« Le rock serait-il vraiment la musique du diable ? Personne n’est plus catholique que le diable, prétend Baudelaire. Et si c’était une ruse suprême du Saint-Esprit. »
Je suis un bon chrétien, la dualité me constitue, je balance entre péché et rédemption, le rock est pour moi, qui fait dialoguer batterie (la terre, le rappel du mal) et guitare (l’air, la possibilité d’un dégagement).
Avec Métaphysique du rock, Frédéric Gournay étudie comme personne cette branlée de musique, fille de la liberté.
Le verbe est haut, enragé, vindicatif – par exemple contre Jean-Luc Nancy accusé de n’y rien comprendre, et de pontifier son ignorance, ou cet « écouillé coiffé comme un chat mouillé » de Matthieu Chédid -, et l’analyse passionnante, qui commence, depuis Tanger où il voyage, par un éloge de l’irréductible Burroughs, de Daniel Darc (on me parle encore d’un de ses derniers concerts à Morlaix) et du musicien John Frusciante, guitar hero du groupe américain Red Hot Chili Peppers découvert avec le – d’abord – mésestimé Blood Sugar Sex Magik (1991).
Les rockers sont-ils de bons progressistes ?
Surtout pas. Pensez à Elvis Presley, Johnny Cash, Bob Dylan, et tant d’autres, qui incarnent l’intensité d’une authenticité, pas la moraline.

John Frusciante, photographie Ross Halfin
Le Spectacle rêve certes de voir mourir ses idoles sur scène en misant sur leur épuisement, qui veulent d’abord la jouissance, le foudroiement, l’électricité et la grâce d’un instant épiphanique né d’un combat spirituel inouï.
« Le rock ne consacre vraiment que les figures qui ont réussi à réunir en elles les principes les plus opposés, les valeurs les plus contradictoires, c’est-à-dire la plus grande corruption : Elvis enregistrant des cantiques et se produisant à Las Vegas – The Sin City, la plus haute Babylone du monde -, Little Richard, grande folle devant l’Eternel suspendant sa carrière pour devenir adventiste du septième jour ; Jerry Lee Lewis, pasteur manqué se mariant avec sa cousine de treize ans ; Chuck Berry, fils d’un père charpentier et diacre, mettant des filles mineures sur le trottoir ; Johnny Cash, défoncé aux amphétamines, louant Dieu dans les prisons ; John Lennon chantant l’amour et passant son temps à se battre ; Lou Reed, s’envoyant travelos et héro, voyant la lumière et composant un hymne à Jésus ; Nick Cave restituant à lui seul l’entière ambivalence d’ombre et de lumière propre au gothique… »
Frédric Gournay joue Guyotat contre Adorno, et la star à la beauté diabolique contre le critique de salon.

John Frusciante, photogramme du film Funky Monks (1991)
Pas de rock véritable sans lutte acharnée entre le Bien et le Mal ? Oui, assurément.
Serait-ce une nouvelle religion païenne ? Pas faux : « Le rock n’est peut-être rien d’autre qu’une cérémonie vaudoue à usage urbain. »
Est-il damné ? « Le rock est corrompu, c’est là toute sa noblesse. »
Et maintenant, chut, on écoute Sabotage, des ultras de Beastie Boys.

Frédéric Gournay, Métaphysique du rock, L’irrémissible Editions, 108 pages
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