
©Ayline Olukman
Nos vies sauvages, d’Ayline Olukman, est un livre sur le bonheur des sensations, sur le désir d’art, sur la fragilité.
La nature y est souveraine, somptueuse et mystérieuse, nourricière et étrange.
On est ici du côté des mythologies et des métamorphoses, de la peinture et des brisures de l’intime.
La sensualité domine, qu’elle s’exprime par la volupté et l’énergétique de la couleur (première partie du livre), la mise en relation des corps, le peau à peau, avec un être aimé, avec l’eau, avec la pierre, avec les végétaux.

©Ayline Olukman
Il n’y a pas de séparation de chair, l’interdépendance des substances est une loi cardinale, sans que la part de mélancolie en l’humain soit déniée.
Inspirée par l’histoire de l’art et des représentations, Ayline Olukman fait de ses natures mortes des acmés de présence, et de ses baigneurs-euses des enfants d’Auguste Renoir.
On découvre un fragment d’une toile datant de la Renaissance italienne, on écarte un peu les branchages, et l’on pénètre dans la merveille de l’immémorial.

©Ayline Olukman
L’origine du monde n’est pas qu’un sexe de femme offert au regard qui le fouille, c’est une roche couverte de mousse, un homme nu entrant dans un taillis, un pamplemousse juteux, une chevelure mouillée, une rose épanouie.
Les pages blanches autorisent l’introspection et la sérénité d’une contemplation sans précipitation.
Très attentive à la texture de ses images, dont on perçoit le grain fin, l’érotique des pigments, Ayline Olukman photographie l’Age d’or, la symphonie des correspondances, la joie d’un chant général.
Les turpitudes et vilenies morales ne sont pas pour elle, qui privilégie la célébration du vivant en tant que vivant, l’énigme d’être, la singularité des formes et la douceur de leur rencontre.

©Ayline Olukman
Les couleurs froides sont chaudes, et les oiseaux de Paradis des créatures de peu – de Dieu – échappées d’une cage peinte par Gilles Aillaud.
« Je perçois chez Ayline, écrit dans sa belle préface Nicolas Bézard, cette avidité, cette façon quasi hallucinatoire de voir le sujet sans le voir, cette dimension féconde de la rêverie, lorsqu’elle affirme par exemple ne rien voir en prenant des photographies. Alors, explique-t-elle, une part d’elle aveugle, sauvage, prend le dessus, dirige, réalise une intention que l’autre part, celle qui projette et qui raisonne, échoue à affirmer. »

©Ayline Olukman
Dans une deuxième partie de son livre, l’artiste propose des images altérées, lavées, frottées, ayant perdu leur couleur.
L’impression de fusain se lève, les formes s’évaporent, conférant à celles qui persistent une manière de miracle.
Tout disparaîtra, mais tout est là, inscrit pour toujours dans la conscience de l’univers, il n’y a pas de reste.
Les fruits sont devenus des dessins, et les insectes, et les seins d’une naïade.
L’Eden est désormais un espace intérieur, peuplé d’ondes et de fantômes sans danger.
Il n’y aura bientôt plus que quelques pierres, quelques fétus de vie, et le sublime visage d’une gisante éveillée comme une divinité protectrice.
Nos vies sauvages se situe dans les territoires de l’inentamé, du non-pollué, du vierge, du vivace et du bel aujourd’hui, dans un temps outrepassant tous les temps.

Ayline Olukman, Nos vies sauvages, préface de Nicolas Bézard, Médiapop éditions, 2024

©Ayline Olukman
https://mediapop-editions.fr/catalogue/nos-vies-sauvages/

https://www.instagram.com/aylineolukman/

Peter Stamm, juin 2017 ©Nicolas Bézard
Grand admirateur des écritures de James Salter, Ernest Hemingway et Patrick Modiano, l’auteur et journaliste indépendant Nicolas Bézard est aussi naturellement passionné par l’œuvre de l’écrivain suisse Peter Stamm avec qui il s’entretient depuis 2017.
Fruit de leurs conversations, Ecrire est un travail humain est un livre fin, intelligent, précis à propos de l’univers d’un auteur publié avec constance par Christian Bourgois Editeur – neuf romans (Agnès, Paysages aléatoires, Un jour comme celui-ci, Sept ans, Tous les jours sont des nuits, L’un l’autre, La Douce Indifférence du monde, Les Archives des sentiments, L’Heure bleu), et quatre recueils de nouvelles (Verglas, D’étranges jardins, Comme un cuivre qui résonne, Au-delà du lac).
Se réclamant, outre les géants cités ci-dessus, de Georges Perec, Albert Camus, mais aussi du peintre Edward Hopper, Peter Stamm traite en un langage refusant le lyrisme de thèmes aussi universels, pointe Nicolas Bézard, que l’amour, l’incommunicabilité au sein du couple, la marche du temps, la disparition, les contours identitaires, la liberté.
Dans des existences apparemment lisses, apparaissent des fissures, des béances, des drames puissamment déstabilisants.
« Il y a peu, confie l’écrivain né en 1963 à Münsterlingen, j’ai écrit à une amie que je trouvais qu’il y avait toujours trop de tout en art. Des plasticiens, des acteurs, des chanteurs, qui en faisaient trop… La réduction, c’est l’idée de ne garder que ce qui est nécessaire. Et pourquoi pas de s’approcher du vide, du silence. C’est ce que j’aime en littérature. Je pense à une autrice que j’adore, Natalia Ginzburg, qui dans une langue épurée raconte des histoires très simples. Souvent, elle décrit des situations dénuées d’action ou de drame. Et quand il se passe quelque chose, comme une femme qui tue son mari par exemple, cela ne débouche sur rien de spectaculaire. »
Voilà, dans le refus de la grandiloquence tragique, tout Stamm, dont on imagine bien qu’il pourrait être un jour, modestement, lauréat du Prix Nobel de littérature.

Peter Stamm & Nicolas Bézard, Ecrire est un travail humain, Médiapop éditions, 2024, 156 pages
