
L’amour parmi les ruines, vers 1873, Edward Burne-Jones
« Je voudrais être comme un saint, une sainte, bras écartés, ébloui de pâmoison, qui reçoit la foudre de l’amour. Je m’abandonne à ce qui me vide et m’emplit à la fois. je fais l’amour, j’écris. » (Yannick Haenel)
Dans le cadre des Rencontres Philosophiques de Monaco, le philosophe Paul Audi, la psychanalyste Sarah Chiche et l’écrivain Yannick Haenel, invités par Raphael Zagury-Orly, ont livré au public venu les écouter le 15 décembre 2022 leurs propos sur l’amour fou.
Les textes des conférences sont aujourd’hui publiés, je les ai lus d’une traite.
Je suis fou amoureux, je suis blessé, l’amour me protège en me dénudant, je suis entré dans la zone du sacrifice, je ne m’en relèverai pas, tant mieux.
Avec Yannick Haenel, ça commence toujours par une phrase de réveil, lancée comme un coup de gong dans l’univers et l’entièreté de la bibliothèque : « J’ai toujours été amoureux. De 12 à 57 ans, c’est-à-dire depuis quarante-cinq ans, je ne fais que ça : vivre l’amour, endurer sa lumière, son envahissement, son inquiétude, sa beauté, ses éclairs de jouissance. Je n’ai fait que vivre en pensant à une femme. Je pourrais même dire que je vis « sous amour », comme on dit qu’on est « sous acide ». Je n’ai pas, durant ces quarante-cinq ans, été amoureux de la même personne, je n’ai pas la constance des personnages d’Ada ou l’ardeur, le roman féérique de Vladimir Nabokov, qui s’aiment toute leur vie, de 15 à 90 ans, comme Nabokov lui-même et sa femme Vera qui, dans la vie auront filé le parfait amour. »
Filer le parfait amour, comme on file à l’anglaise, ou à la française : le véritable amour est clandestin, éclatant, et pourtant invisible pour la plupart dans sa force de déchirement.
L’amour ne va pas sans la révolution, l’art, la poésie – merci André Breton. C’est un feu, qui détruit et sauve dans le même instant.
Lorsque les mots sont là pour le dire, doux, crus, voluptueux, et accompagner les corps qui se donnent, rien n’est meilleur.
La jouissance sexuelle à deux, précise l’auteur de Tiens ferme ta couronne (Gallimard, 2017), abolit tout rapport de force, c’est une équivalence de joie échappant à la corruption du temps, c’est un royaume.
L’amour fou réactive en nous la part d’innocence, ouvre à l’incommensurable, au débordement de soi, sans fin.
Fol’amor, fin’amor, amour courtois, énamoration.
Georges Bataille, compagnon permanent de l’écrivain, est cité : « C’est seulement dans l’amour qui les embrase qu’un homme ou une femme sont aussitôt, silencieusement, rendus à l’univers. L’être aimé ne propose à l’amant de l’ouvrir à la totalité de ce qui est qu’en s’ouvrant lui-même à son amour, une ouverture illimitée n’est donnée que dans cette fusion, où l’objet et le sujet, l’être aimé et l’amant, cessent d’être dans le monde isolément – cessent d’être séparés l’un de l’autre et du monde, et sont deux souffles dans un seul vent. Aucune communauté ne peut comprendre cet élan véritablement fou, qui entre en jeu dans la préférence pour un être. »
Les amants défont le monde en le refaisant, leurs soupirs relèvent de la langue d’or, celle que nous parlions sans avoir à parler au paradis.
Maladie d’amour ? se demande Sarah Chiche avec Marguerite Duras, lectrice elle aussi de Robert Musil, présent dans le texte de Yannick Haenel.
Les mystiques chrétiens sont évoqués : on tombe sans chuter, on se dévore de baisers jusqu’à l’ultime limite de l’anthropophagie, on entend intérieurement la voix de l’autre, qui nous ravit.
En spinoziste, Paul Audi – qui cite aussi Bataille et Duras – pense l’amour fou comme puissance, entre désemparement et réappropriation du plus intime dans l’illimitation.
On s’ouvre à l’autre, on se dépouille ; on est riche de notre évidement, on entre dans la souveraineté.
Mais la folie n’est-elle pas de préférer un être à tous les autres, quand il y a tant de possibilités de rencontres et d’embrasements ?
C’est la loi de l’Eros primordial.
C’est le grand Oui du dessillement absolu.
a-mour, a-mur, a-moi, je suis tout à toi.
Encore.

Paul Audi, Sarah Chiche, Yannick Haenel, L’amour fou, introduction de Raphael Zagury-Orly, Les Rencontres Philosophiques de Monaco, 2024, 92 pages
https://philomonaco.com/produit/paul-audi-sarah-chiche-yannick-haenel-lamour-fou/
Une existence réussie est une existence amoureuse. Amoureuse du monde, dans une durée bergsonienne… peu importe le temps, cher Yannick. L’amour, comme la poésie, nous protègent de l’avidité et du contrôle.
Comme c’est beau, cher Fabien, de se réveiller en ce 19 décembre en te lisant sur l’amour, qui t’habite toi aussi… merci !
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« Je suis fou amoureux, je suis blessé, l’amour me protège en me dénudant, je suis entré dans la zone du sacrifice, je ne m’en relèverai pas, tant mieux.
(…)
Encore. »
Quelle force lumineuse à vous lire, Fabien.
Merci.
Et j’approfondirai en fouillant les sites mis en références.
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