Les mondes fabuleux, de Céline Clanet, Gaëlle Delort et Alzbeta Wolfova, photographes

©Céline Clanet

Dernier volume de la saga du projet Art & Science mené d’une main de maître par Philippe Guionie à Toulouse, le coffret Fabulae est peut-être le plus beau.

En dix ans, vingt-cinq ouvrages ont été réalisés, dont huit coffrets contenant chacun trois livres consacrés aux fruits des recherches des artistes (un photographe de renom, et deux émergent.e.s).

De qualité rare – les auteurs rencontrent des scientifiques de haut vol, des discussions et amitiés naissent, des images sont effectuées, un colloque a lieu à l’automne, rassemblant l’ensemble des protagonistes d’une année -, cette entreprise au long cours unique en France est des plus enthousiasmantes.

Se présentant sous très belle couverture noire, dont les inscriptions sont écrites à l’encre orange cuivrée, Fabulae indique bien par son titre la proximité féconde entre science et imagination, les plus importantes découvertes se faisant souvent par des biais d’abord insoupçonnés.

Ont donc été associées, pour l’édition 2024 de la Résidence 1+2, Céline Clanet,  qui a travaillé sur la thématique de l’ours, Gaëlle Delort, exploratrice des milieux souterrains, et Alzbeta Wolfova, venue de République tchèque, passionnée par la vision des insectes.

©Céline Clanet

Construit selon trois temps, les images du volume Seconde peau, de Céline Clanet, font pénétrer le spectateur dans les cavernes des ursidés, lui proposant d’entrer en contact, par les roches qu’ils ont habitées, grattées, creusées, avec les fantômes des ours de l’époque préhistorique, mais aussi avec des villageois.e.s d’aujourd’hui se transformant en ours au solstice d’hiver dans le Haut-Vallespir, à Prats-de-Mollo et Saint-Laurent-de-Cerdans (Pyrénées-Orientales) lors d’une fête mémorable, et des taxidermistes contemporains prenant soin du cadavre de ces bêtes royales.

Se demandant quand commence et finit notre humanité – lorsque l’on tue presque gratuitement une oursonne, Caramelles, ayant mis bas ?-, Céline Clanet a produit un ensemble de photographies témoignant, avec beaucoup de douceur et de grâce, de la puissance symbolique de l’animal longtemps considéré comme le plus noble de la création.

On revêt une peau, on s’enduit de suie, on est déjà l’autre, l’animal, le mystère.

©Gaëlle Delort

Gaëlle Delort quant à elle fait se rencontrer photographie et spéléologie, se demandant ce que nous voyons et percevons sous terre.

« En choisissant de partir dans les grottes avec une chambre photographique et des pellicules argentiques, précise Michel Poivert, Gaëlle Delort entend renouer avec le paradoxe des origines. Révéler l’invisible, percuter les temporalités, ramener la camera obscura dans la caverne par un geste réflexif, faire de la durée du temps de pose une contrainte fertile, en un mot performer le photographique au cœur de sa mythologie. »  

On pense à Georges Bataille découvrant Lascaux, à son interrogation sur les origines de l’art, à l’énigme fondamentale des pratiques apotropaïques, à ce qui nous agit encore d’immémorial, alors qu’à la surface de la Terre tout devient irrespirable et souillé.

©Alzbeta Wolfova

Et si nous reconsidérions notre rapport aux insectes ? propose dans Insect gaze Alzbeta Wolfova.

Nous sommes ici du côté de la polychromie du vivant et de son héraldique, du merveilleux des formes et du grouillement des larves, dans une vision presque pop de la petite gent animale bien souvent déconsidérée.

On s’effraie, mais l’on a tort, tout est beau, les insectes parcourent notre peau, remercions-les.

Par le dispositif des boîtes lumineuses, de la 3D, des filtres colorés, des systèmes multi-lenticulaires, l’artiste offre, aux lisières du fantastique, un regard enchanté sur ces parias pourtant géniaux.

Souvenons-nous du grand Buffon : « Si les animaux n’existaient pas, ne serions-nous pas encore plus incompréhensibles à nous-mêmes ? »

©Alzbeta Wolfova

Telle est/fut l’ambition du projet 1+2 : nous estranger à nous-mêmes, tout en approfondissement, par le truchement d’un médium abordé dans toutes ses facettes, notre connaissance du vivant, humain, animal, végétal, minéral, des mondes souterrains à l’’espace supraterrestre.  

Céline Clanet, Gaëlle Delort, Alzbeta Wolfova, Fabulae, textes (français/anglais) Michel Poivert, coordination éditoriale Patrick Le Bescont, Filigranes Editions, 2024, 176 pages

https://www.1plus2.fr/

https://www.filigranes.com/livre/12-fabulae/

©Céline Clanet

https://www.celineclanet.com/

©Gaëlle Delort

https://gaelledelort.com/https://alzbetawolfova.com/

©Alzbeta Wolfova

https://alzbetawolfova.com/insect-gaze

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