Pérugin sauve, par Stéphane Lambert, écrivain

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St Jérôme dans le désert, 1504, Perugino, huile sur panneau de bois, 89,3 x 72,5 cm

« Le seul lieu que j’habitais avec bonheur était mes livres, petites barques imaginaires où je me tenais à l’écart du monde tumultueux. Hors d’eux j’étais déboussolé. »

Il arrive qu’on soit égaré, perdu, qu’on ne sache plus très bien ce qui nous retient à la vie.

Et puis, c’est une rencontre soudaine, une lumière spéciale, la présence d’un musée qui aimante.

Lorsqu’il pénètre dans le musée des Beaux-Arts de Caen, Stéphane Lambert se sent mal.

Son installation à la campagne, loin de Paris, n’a pas produit les effets supposés, la solitude est là, l’effarement, l’exil intérieur.

Il lui faut renaître – quête même des œuvres réussies -, ce sera Un autre lieu, livre consacré au Saint Jérôme dans le désert du Pérugin, huile sur panneau de bois datant de 1504.

Lorsqu’il découvre ce tableau de taille modeste – accroché près du spectaculaire Mariage de la Vierge du maître de Raphaël -, Stéphane Lambert, dont on connaît notamment les propos inspirés sur Monet, Rothko, de Staël et Goya, se sent de nouveau libre.

Il n’est plus seul, quelqu’un s’adresse intimement à lui, c’est une surface peinte.

« Tout parlait bas dans sa composition. Les couleurs douces, délavées, presque évanouies, donnaient à la scène une quiétude à contre-courant de la pénitence que le saint s’imposait. »

Un lion est là, auquel Jérôme a retiré une épine, c’est le signe de son cœur allégé, et d’une allégeance – dialectique – du puissant envers le faible.

Le saint prie à genoux, regardant le Christ en croix – de profil trois-quarts pour le spectateur -, des verticales structurent la scène (croix, arbre auquel pend un chapeau rouge), il y a  une grotte où se retirer et une étendue d’eau – identifiée au lac de Trasimène – pour la fécondité de l’esprit.

« Les plis de la robe bleue du saint étalés sur le sol renvoyaient à la forme sinueuse du lac, comme si, par son ascèse, Jérôme était en train de se liquéfier. »

Pérugin, souligne Stéphane Lambert, dédramatise, répond par la délicatesse au terrible, ses visions sont suaves.    

Tout était sombre, inquiet, désespérant, et voilà qu’un tableau vous sauve.

Jérôme n’est pas jeune, le temps a marqué ses traits, et pourtant quelle lumière intérieure.

Publié dans la petite collection Incise du Musée des Beaux-Arts de Caen – les deux premiers volumes ont été confiés à Yoann Thommerel et Belinda Cannone -, Un autre lieu est une méditation de nature autobiographique sur l’art et son pouvoir de transfiguration.  

Stéphane Lambert, Un autre lieu, design graphique Ludivine Mabire, collection Incise, Musée des Beaux-Arts de Caen, 2025, 28 pages

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