L’enfer de Paradise, par Maxime Riché, photographe


La colonne de fumée du Dixie Fire s’élève au dessus de Paradise, Californie, le 17 juillet 2021. Au cours de ses trois mois d’activité, il a brûlé 390 000 hectares sur les massifs situés au nord de Paradise, et détruit plusieurs villes, pour un coût estimé à plus de 637 millions de dollars. – Juillet 2021 ©Maxime Riché

Paradise, made in USA, c’est l’enfer.

Paradise brûle, a brûlé, brûlera puisque tout est reconstruit à l’identique, ou à peu près, et que les conditions climatiques générales empirent.  

Consacré aux mégafeux ayant ravagé la ville californienne, en 2018, 2020 et 2021, Paradise est aussi un livre de Maxime Riché, ouvrage impressionnant par sa solennité empreinte de douleur tue, ses choix éditoriaux et graphiques, notamment la typographie, son façonnage.

Une couverture cartonnée tout en reliefs marqués de zones dorées : c’est l’écorce du temps qui prend feu, c’est l’or de la régénération, c’est la désolation.


Gary Lambert, devant son camping car au Moose Lodge de Paradise. Rescapé de Camp Fire, Gary a vécu deux ans dans un camping à Eureka jusqu’au jour où un sequoia s’est abattu sur sa caravane. Il est revenu à Paradise pour se rapprocher de son fils en attendant l’issue du procès et le dédommagement de PG&E, provisionné à hauteur de 13 milliards de dollars pour l’ensemble des résidents de Paradise ayant perdu leurs biens. Cet argent lui permettrait de s’installer dans un autre lieu : « Je ne veux plus vivre ici, tout a changé et j’y ai trop de mauvais souvenirs ».– Juillet 2021 ©Maxime Riché

Les âmes sont-elles damnées pour à ce point se consumer ?

Y a-t-il quelque faute majeure à expier ?

Un dieu monstrueux a-t-il pris le pouvoir au nord de Sacramento ?

Que peuvent penser depuis l’invisible John Muir, Ralph Waldo Emerson et Henry-David Thoreau, et avec eux tous les pionniers ayant avancé coûte que coûte jusqu’à l’Ouest tant désiré ?


Mary McEllroy, Feather West Travel Trailer. Mary attend depuis 3 ans le dédommagement de l’entreprise Pacific Gas & Electric suite à la perte de son trailer dans le mégafeu Camp Fire en 2018. Sans emploi depuis lors, elle a vécu dans sa voiture pendant 2 ans 1/2 et vient de s’installer avec sa soeur dans ce camping-car. – Juillet 2021©Maxime Riché

Composé de portraits, d’objets brûlés et de paysages intermédiaires – détruits, rebâtis, en attente -, Paradise témoigne avec un calme propice à l’introspection d’une catastrophe qui « n’est que la part visible du désastre », précise Maxime Riché, l’auteur qualifiant son travail de « documentaire spéculatif ».

Les photographies, réalisées au tempo de l’argentique, ne cherchent pas à apitoyer ou à simplement accabler, mais à permettre une réflexion non dénuée d’empathie.

Par ailleurs, l’emploi par intermittence d’un film diapositive infrarouge, évoque le paysage intérieur, incendié, de la population, cette pellicule rare, n’étant plus commercialisée depuis vingt ans, créant paradoxalement de merveilleux effets de polychromie.

« La photographie, écrit en postface l’historien Michel Poivert, a surtout été pensée comme un art de la nostalgie, capable de mémoriser et conjuguer au présent par le souvenir. Elle semble désormais suivre une autre pente lorsqu’elle utilise le paradigme analogique, comme pour dire qu’elle passe de la nostalgie du passé à l’impossibilité du présent. L’image comme implant mnémonique laisse place à une alchimie de la présence hallucinée. »


La maison de Tina Bakasek sur un terrain nouvellement acquis suite à Camp Fire. « C’est ici que j’ai rencontré mon premier amour, que je l’ai épousé. J’y a fondé ma famille, élevé mes enfants. Je me sens extrêmement chanceuse d’avoir survécu à Camp Fire, je ne voudrais quitter Paradise pour rien au monde. » – Août 2021 ©Maxime Riché

On ne respire pas très bien, mais l’horizon, voilé par les brumes de fumée persistante, est somptueux.

Un homme regarde le passé, au bord du précipice.

Rappels colorés entre diptyques, visages graves, Dieu est un survivaliste.


Pearson Road. Trois adolescents partent pêcher au matin, dans la fumée du Dixie Fire qui brûle depuis quelques jours non loin de Paradise. – juillet 2021 ©Maxime Riché

Passe une bande de copains à vélo partant à la pêche.

Par la douceur de ses images, Maxime Riché ne masque pas l’effroi induit par la catastrophe, mais révèle la part d’humanité en chacun, jusque dans l’anéantissement inconcevable du monde natal.

Il faut repartir à zéro, passer par l’enfer pour accéder, comme chez Dante – si Virgile trouve sa Béatrice, sa voix, son art, son médium, sa technique, par exemple le tirage au moyen du procédé non polluant du résinotype – au paradis.

©Maxime Riché

Un paradis complexe, toujours déjà un peu contaminé, déjouant les fantasmes d’homogénéité.

Paradise, donc.

Maxime Riché, Paradise, textes Maxime Riché, postface Michel Poivert, suivi artistique Agathe Kalfas, conception graphique Fernanda Fajardo, design Joao Linneu, couleur Hugo Weber, Cadre en Seine Labo Vincent Chéron, André Frère Editions, 2024

https://maximeriche.com/


Retardant chimique largué sur les arbres bordant le Feather River Canyon afin de ralentir la progression de Dixie Fire en juillet 2021 ©Maxime Riché

https://maximeriche.com/paradise


Jim McCurdy, au volant de la voiture qu’il répare devant sa nouvelle maison. Jim travaille chaque jour à la remettre en état malgré la fumée de l’incende Dixie Fire qui rend tout exercice en extérieur difficile. Aout 2021 ©Maxime Riché

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