
©Claude Hofer
Des corps, des visages, des attitudes, des formes.
Oui, mais il y a davantage encore : une recherche d’unité avec la totalité du vivant, une façon d’extérioriser un monde intérieur inconnu, une danse avec la mort.
Une levée de spectres.
Ouvrage impressionnant par la qualité de ses images en noir et blanc, et son volume (poids, dimension, nombre de vues), Emotional Waves, du photographe suisse Claude Hofer, montre en deux-cent-dix-sept situations des danseurs au travail, pour une grande part de butô.
Le corpus est issu de rencontres avec des performeurs à travers le monde – Japon, Taïwan, Allemagne, Autriche, Royaume-Uni, Espagne, Italie – ayant souvent improvisé une danse devant son objectif.

©Claude Hofer
Observant la maîtrise technique considérable des gestes des danseurs, Emotional Waves contemple des êtres en pleine mutation, exprimant l’intensité des états intimes qu’ils traversent.
Claude Hofer contemple d’abord les visages, leur mobilité, leur plasticité, et la dimension d’ailleurs dont ils témoignent.
On touche par l’extrême singularité à l’universel, le photographe et le danseur rendant compte d’une relation symbiotique avec le mystère même d’être en vie.
On respire les végétaux, la tête tourne, le regard est renversé.

©Claude Hofer
On pense aux plongeuses aux seins nus d’Iwase Yoshiyuki, à l’esthétique bergmanienne du gros plan, au cinéma japonais où le vent, le soleil, l’obscurité sont des personnages à part entière.
La sensualité est permanente, parce que le monde s’explore véritablement tous sens ouverts, et avec audace.
Pieds nus sur le bois ou la terre, puissances souterraines, réinvention de soi.
Visions shintoïstes, non-séparation, dialogue entre l’esprit et le cosmos.
Les corps sont parfois fardés, il y a de la dramatisation, de la théâtralisation, une impression de film muet.

©Claude Hofer
Une main s’avance, un visage grimace, la bouche déchirée par le cri est à la fois souffrance et extase.
Les noirs de Claude Hofer sont intenses, les gestes chorégraphiés découpent l’espace avec tranchant, les muscles sont à la fois souples et bandés.
Il ne s’agit pourtant pas de mimer ou de reproduire quelque situation émotionnelle connue, mais de tenter de vivre ce qu’on ignore encore des possibilités d’une puissance métamorphique en soi.
Chaque image est somptueuse, implacable, comme un plan de Victor Sjöström.

©Claude Hofer
Beautés de l’épouvante, du désir, de l’abandon.
Corps voilés, dévoilés, malaxés, pétris, épuisés.
Nouvelles géométries, bébé est un vieillard, le féminin est masculin, le masculin est féminin, il n’y a plus de genre.
Chaque photographie est un fragment arraché à la nuit, l’androïde contemporain redeviendra-t-il humain ?
Enigme des yeux retournés, des transformations animaloïdes, traversée du miroir, transparences opaques.

©Claude Hofer
Emotional Waves sidère, c’est une somme, un portail, une arche aux énigmes fondamentales.
Il faut laisser ce livre agir sur la table de travail pendant plusieurs mois, tourner peu à peu les pages, quand tout nous rappelle ici que nos identités sociales sont des constructions, et que la palpitation d’une vie plus vraie doit être l’objet de notre quête existentielle.

Claude Hofer, Emotional Waves, Butoh and Contemporary Dance, texts (english, german, japanese) by Romina Achatz, Sebastian Altermatt, Alice Baldock, Mai Burns, Claude Hofer, Shinichi Takeshige, designed by Laura Pecoroni, Kehrer Verlag, 2025, 432 pages

©Claude Hofer
Exposition : IPFO – International Photography Festival in Olten Switzerland, du 20 au 24 août 2025