
©Jean-Luc Bertini
« Dans les cimetières que je hante du matin au soir, je marmonne pour chasser le spleen. Je lis également les noms que je déchiffre sur les tombes, et récite leurs épitaphes mezza voce comme s’il s’agissait d’une mélopée unique, solennelle et pleine du même cantique, avec parfois des variations à vous tirer des larmes. » (Jean-Luc Bertini)
Qui a vu la nécropole de Staglieno, à Gênes, a pu ressentir à quel point la mort est vivante, belle, inventive.
L’éternité, voilà une valeur sûre dont nous aurions tort de nous méfier.
Consacrant son dernier livre, Contemplations italiennes, à une trentaine de cimetières monumentaux d’Italie, Sicile et Sardaigne comprises, Jean-Luc Bertini a photographié le paradis statuaire de ce pays protégé par les saints catholiques, la Vierge Marie, et la foi en un Christ Rédempteur.
C’est Hugo moins l’effroi, c’est un tombeau doux pour la mère défunte de l’auteur, c’est un acte généreux reliant les vivants et les morts.
Les pierres sculptées disent le mystère, la volupté de l’Inconnue – voir la Chartreuse de Bologne -, l’épouvante possible transformée en sensualité.
Il faut imaginer le photographe, muni de son lourd barda, passer de longues heures auprès de ces formes protégeant les sépultures.

©Jean-Luc Bertini
Prises au Rolleiflex, les images indiquent un ordre, une stabilité, un socle.
Les archanges peuplent les visions du photographe, ils ne s’imposent pas, ils s’invitent.
Certains cimetières sont en ruine, gagnés par une nature reprenant ses droits essentiels, comme à Cagliari.
Les puissants ont chu, alors que passe le fantôme de Bossuet derrière un bosquet.
Pointent les seins de la belle Camarde sous son tissu de marbre.
« C’est parfois une débauche, écrit en épilogue Pierre Michon : on laisse à Thanatos l’étage inférieur, et à l’air libre, Eros règne. Tous ont du chagrin certes, mais c’est un chagrin d’amour. Le modelé des chairs rend les vieilles dames désirables, les vieux messieurs sont séduisants ; jusqu’aux têtes de mort qui ne sont là que pour nous rappeler que Marie Madeleine pénitente en regardait une quand elle se donnait le fouet nue dans le désert. »
Pourquoi courir ? Nul n’échappe à son charme fatal.
Un enfant dort, mais aussi un ange, pourquoi les réveiller ? Est-ce si bien ici-bas ?
Des hommes de pierre portent un catafalque, une pleureuse se courbe devant un crâne, des amants de bronze se font face en fermant les yeux.
Les figures sculptées sont de toutes tailles et attitudes, il y a de la sororité dans l’air et des somptuosités adelphiques, des complicités de fins de routes, des larmes marmoréennes caressant les joues lisses des trépassées.
Nous sommes à Rome, à Lecce, à Bergame, à Milan, à Bari, à Catane, à Messine, à Florence, à Sassari, là où règne un calme olympien, ou divin.
Il faut apaiser l’âme des proches endeuillés, leur offrir un moment de haute délicatesse, soigner chaque geste sculpté.
Silence.
Vestiges.

©Jean-Luc Bertini
Vertiges.
Prières.
La nudité est un rappel de vérité lorsqu’arrive l’heure dernière.
Des enfants sont morts, des rois, des anonymes, tous unis désormais dans la même souveraineté.
Les visages féminins sont innombrables, mères, filles, amoureuses symbolisant la grâce et le don de soi.
Jean-Luc Bertini accorde au grain de ses images, en noir & blanc ou couleur, une place de choix, mais sans afféterie : il s’agit simplement d’indiquer la corruption temporelle n’atteignant cependant pas l’axe vertical des vies incarnées, puis enfuies.
On s’agenouille, on se recroqueville, on se prosterne.

©Jean-Luc Bertini
La mort outrepasse tout spectacle, mais il faut du rite, des cérémonies de passage, des façons de se tenir ensemble et seuls face à l’ultime porte.
Il y a, à la fin du livre, le portrait post-mortem de la mère du photographe, image touchante, noble, digne d’une femme filialement aimée.
Contemplations italiennes lui est dédié.

Jean-Luc Bertini, Contemplations italiennes, avant-propos Jean-Luc Bertini, épilogue de Pierre Michon, Robert Laffont, 2025
https://www.jeanlucbertini.com/fr/

©Jean-Luc Bertini
https://www.lisez.com/livres/contemplations-italiennes/9782221283233
