Jean Genet, secrétaire des anges, par Lydie Dattas, écrivaine

« Quel temps j’ai perdu avec les intellectuels ! C’est la bonté seule qu’il fallait chanter, elle seule est subversive ! » (Jean Genet)

Les textes de Lydia Dattas sont toujours des événements poétiques.

Le récit qu’elle consacre à la vie de son ami Jean Genet est superbe.

Sous-titré « Petite légende dorée », il ne s’agit pas d’une hagiographie, mais d’un portrait en touches de sensibilité d’un enfant abandonné par une mère lingère esseulée, rattrapé à l’heure du succès par le monstre Spectacle, dont il se débarrassa en se rapprochant des fédayins palestiniens et de leur lutte de décolonisation.

Publié d’abord en 2006, La chaste vie de Jean Genet est un court texte d’une grande densité langagière : il faut le lire lentement, accueillir pleinement ses fulgurances, le méditer, le relire.

Vagabond, déserteur, malfaiteur, solidaire des parias, Genet est une figure christique.

Il passe pour un voyou, mais il avance vers la sainteté.  

Vomissant les tièdes, il est fièvre, révolte, foi sauvage.

« Pour forcer le Dieu sourd de l’Ancien Testament à entendre les plaintes des plus méprisés de ses créatures, écrit l’auteure de La nuit spirituelle (2013), avec pour seule aide la grammaire d’Augé, Genet emprunta à Bossuet le tambour voilé de son verbe. Ce qui n’était que poussiéreuse rhétorique d’évêque appliquée aux assassins devint ondée divine. L’heure était venue d’ouvrir le portail du ciel aux voleurs, aux maquereaux et aux prostituées honnis par le monde. Ceux qui puent, ceux qui volent, ceux qui tuent et qu’une bonne société se réjouit de tenir au bout des pincettes de sa morale. »

Genet, enfant assisté, aurait pu être prêtre, il devint écrivain de délicatesse, jusque dans ses violences, chien de lisard, coups de pied donnés contre la France blanche et bien-pensante (reprendre Pompes funèbres).

On fait de lui un voleur, on le condamne pour indignité, il sera ce que ses bourreaux pensent de lui, adorant secrètement les humbles, les Intouchables.

L’enfant de chœur élevé par l’Assistance publique devint apprenti typographe, valet de ferme, fuyard, bientôt condamné à rejoindre, le 2 septembre 1926, le bagne de Mettray – on songe à l’enfance blessée d’Eric Rondepierre –, maison de redressement tenue par la férule catholique.

Goût pour les garçons, anges nus et lépreux, têtes rasées – lire Miracle de la rose (1946).

« A quinze ans, Genet tomba éperdument amoureux des poèmes de Pierre de Ronsard. Reconnaissant sa propre délicatesse dans celle du prince de la Renaissance, il osa mettre un nom sur sa singularité et ce fut celui de poète. Des enfants malheureux, il y en avait dans toute la France, mais, en se découvrant poète, ce fut comme si Genet avait été sacré roi de tous les mômes déshérités. »

Nuit obscure des cachots où furent écrites les cinquante premières pages de Notre-Dame-des-Fleurs.

Naissance d’une langue somptueuse, héritée du Grand Siècle, et nouvelle, étrange, vive.

Errance, rage, vice, illuminations devant la beauté des corps et visages masculins.

« Pas de meilleure faculté de théologie que la prison : Genet y avait appris quels inconsolables chagrins d’enfant sont aux sources des actes les plus abominables. Si un homme pouvait en tuer un autre, c’est en raison que son âme – pareille à ce petit carré d’étoffe orné de broderies pieuses, nommé scapulaire, qu’il était jadis d’usage de porter sur la poitrine de la naissance à la mort – lui avait été arrachée par le sort. (…) Lui qui voulait être un marginal fut fêté par des bourgeois qui avaient mis la marge au centre. »

Descendre très bas, avec les relégués, et faire monter le verbe le plus haut possible.

Eprouver le diamant de la débauche.  

Jean-Paul Sartre vint, l’adula, et Genet fut incarcéré dans la gloire, devenant sa propre marionnette.

« Ce que n’avaient pu faire les juges, avance Lydie Datas, les beaux esprits parisiens le réussirent : enlever à un ange au visage de boxeur la colombe qui battait des ailes dans son cœur, la mettre en cage, l’apprivoiser et l’amener à chanter comme tout le monde – fort et faux. »

Alberto Giacometti lui rappela l’essentiel.

Fuir la renommée littéraire, rencontrer les Blacks Panthers et Yasser Arafat (relire Un captif amoureux), désirer les Arabes, en continuant à être un gosse mourant de solitude, puis d’un cancer de la gorge, être crucifié par la vieillesse.

Enterrer l’errant chérubinique au cimetière de Larache, au Maroc, comme travailleur immigré.

« Genet mourrait en ignorant que sa mère ne l’avait pas abandonné, mais qu’on lui avait retiré son enfant. Comme lui, elle avait été une victime de la société. »

Lydie Dattas, La chaste vie de Jean Genet, Gallimard, 2025, 106 pages

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