Pour Dominique Théate – vie brisée par un accident de moto terrible en 1987, alors qu’il avait 19 ans – le dessin et l’écriture calligraphiée pratiqués de manière compulsive sont des forces de reconstruction et de réinvention de soi.
Fréquentant quotidiennement le Centre de jour la « S » Grand Atelier, « espace de création pour artistes mentalement déficients » situé dans les Ardennes belges à Vielsalm, cité connue notamment pour sa fête des myrtilles accompagnée de défilés carnavalesques dirigés par des macrales (sorcières), le Liégeois Dominique Théate conçoit l’art comme un retournement du mauvais sort en faveur.
En lutte contre le morcellement et la perte du sens, sa rage d’expression, la répétition obsessionnelle de ses thèmes au pinceau ou stylo (d’innombrables autoportraits, des voitures, des superhéros, des baisers) sont des manières d’unité retrouvée.
En avant-propos d’un catalogue reproduisant ses travaux plastiques, Christian Berst, qui l’expose actuellement dans sa galerie parisienne, écrit : « Au travers de ses « Shéma (sic) me représentant » en pilote d’une grosse berline, en comédien à la mise parfaite, en fiancé comblé, en jeune homme bien sous tous rapports, Dominique Théate se projette, tente de recoller les morceaux que l’accident a fragmentés en lui. Il prend à témoin, conjure, invoque, revendique un futur, l’incarne dans sa geste votive. Il veut reprendre le cours des choses, forcer le destin, il a un plan pour ça, il en a fixé les étapes, les contours. Il existe (étymologiquement : sortir de, se manifester, se montrer). »
Se mettant fréquemment en scène à la façon d’un showman, arborant un sourire mystérieux (ses lèvres sont pulpeuses, en attente des fruits qui les combleront), Dominique Théate crée en criant sa recherche d’amour, écrivant sur l’une de ses gouaches : Wanted loving.
« L’homme aux 100 visages » – la périphrase est de Barnabé Mons, auteur d’une préface très éclairante – est un ressuscité désirant entraîner dans un slow Barbarella, et se dessinant avec un bouquet de fleurs à la main : « I love you » (« very beaucoup »)
Amateur du chanteur Renaud, l’artiste sait être ironique et se moquer de son sentimentaliste.
Le trait est précis, sans repentir, il est d’un dessinateur connaissant son métier, faisant de chaque page, de chaque feuille, de chaque toile un espace de fiction où explorer son théâtre intime.
Dans le texte qu’il consacre à la collection d’art singulier et d’art indien de son père, le psychiatre, galeriste (espace Zone de confusion à Saint-André, près de Lille) et professeur de yoga Philippe Mons, Barnabé Mons précise que « bien des réalisations traînant jusque-là dans la catégorie des arts populaires, de l’artisanat, de l’art religieux ou païen, de la sorcellerie, des superstitions, se marient parfaitement avec les œuvres d’art brut » dont l’une des caractéristiques repose sur la « croyance en l’effectivité de l’œuvre sur le monde réel, comme un ex-voto a pour vocation de transmettre un vœu à l’au-delà. »
Une BMW s’avance, roulant bientôt sur le texte. A son bord, un homme à lunettes sourit : il a rendez-vous avec la femme de sa vie, comme hier, comme demain.
Il dessine, écrit, rêve, il est sauvé.
L’autoradio est allumé : « Et c’est pas parc’ que you are me qu’I am you… »
Catalogue Dominique Théate, In the mood for love, textes de Christian Berst et Barnabé Mons, 2017 – exposition Galerie Christian Berst Art brut (Paris), du 27 avril au 27 mai 2017
Galerie Christian Berst Art brut